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MÉMOIRES
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L'ACADÉMIE NATIONALE DE METZ.
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MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE NATIONALE
DE METZ.
LETTRES, SCIENCES, ARTS, AGRICULTURE.
XXXI ANNÉE. — 1849-1850.
METZ.
AU BUREAU DE L'ACADÉMIE, RUE DE LA BIBLIOTHÈQUE, ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES.
PARIS.
CHEZ DÉRACHE, LIBRAIRE, RUE DU BOULOY, 7, 1850.
591959-B
L'Académie ne prend pas la responsabilité des opinions émises dans les Notices ou travaux particuliers que renfer- ment ses Mémoires.
SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE METZ,
DU 19 MAI 1850.
DISCOURS
DE M. ALFRED MALHERBE, PRÉSIDENT,
MESSIEURS,
Dans cette réunion annuelle de l’Académie, la musique, cette muse aimable et gracieuse, tantôt vive et enjouée, tantôt sévère et majestueuse, est toujours venue nous prêter son concours harmonieux et rehausser l'éclat de cette so- lennité.
J'ai donc cru acquitter une dette en vous entretenant au- jourd'hui de l’art d'Euterpe cultivé avec succès dans notre cité, notamment par plusieurs membres de notre compagnie.
Vous savez d’ailleurs, Messieurs, que c'est aux efforts soutenus et intelligents de l’un de nos collègues et de ses collaborateurs , ainsi qu'à la généreuse sollicitude de la ville, que nous devons notre école de musique qui a mérité depuis
2 DISCOURS DU PRÉSIDENT.
d'être classée par le gouvernement comme l’une des six suc- cursales du Conservatoire de Paris *; que cette école, qui ne comptait en 1836 que 150 élèves, en posséde maintenant plus de 400 et forme chaque jour d'excellents musiciens ; que les élèves y trouvent un grand nombre de cours pour l'étude du solfège , du chant, des divers instruments à cordes ainsi que de l'harmonie. |
Ceux qui ont pu, comme nous , Messieurs , entendre fré- quemment, à l’école de musique, ou chez l'honorable di- recteur de cette école **, quelques-unes de ses principales élèves, se rappellent volontiers avec quel charme et avec quel éclat elles savent reproduire soit les accens de Rosine, de
* L'école municipale de musique fondée à Metz, par arrêté du 51 décembre 1835, a fait des progrès tellement sensibles et a pris un développement tel, qu'après une inspection qui eut lieu en 4841, et le rapport qui en fut la suite, le gouvernement, par ordonnance royale du 16 août 1841, l’érigea en succursale du Conservatoire de Paris, et sollicita deux années de suite des chambres, des fonds destinés à encourager cette école.
L'on sait que les seules écoles de ce genre sont d’abord celle de Lille, largement rétribuée par une munificence impériale que les assemblées lésislatives ont successivement respectée, puis celles de Marseille, de Toulouse, de Dijon et de Nantes.
L'école de Metz comprend : 4° l’enseignement simultané ou du premier degré, pour les deux sexes ;
20 Sept classes de solfége, dont deux pour les jeunes filles ;
3° Deux classes de vocalise et une de chant.
Et quant à la musique instrumentale :
Trois classes de violon;
Une de violoncelle;
Une de contre-basse;
Deux de piano, dont une pour les dames.
Il existe, de plus, une classe d'harmonie pour les hommes et une pour les dames.
Les élèves des diverses classes sont réunis le jeudi et le dimanche à l’école de musique, pour exécuter des morceaux d’ensemble de musique vocale ou instrumentale.
* M. Desvignes.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 3
Norma, d'Elvire ou de Ninette, soit ceux d'Adalgise, de Pippo ou du beau page Isolier *.
Quant à la musique instrumentale, elle compte aussi à notre conservatoire des interprètes distingués **, ainsi que l’a prouvé encore récemment la belle exécution des magni- fiques symphonies de Beethoven en présence d'une artiste célébre ***. |
Ne sommes-nous donc pas fondés à penser que notre faible voix, en vous parlant de la musique , trouvera quelque écho bienveillant ? |
Messieurs, l'Académie, dans laquelle les beaux-arts ont des représentants si dignes, a déjà témoigné de ses sympathies pour l’art du Dessin en organisant la belle exposition de peinture et de sculpture qui fait en ce moment l'admiration de nombreux visiteurs. Pour compléter notre hommage aux beaux-arts, j'avais désiré nous associer aussi læ musique vocale en lui donnant dans cette séance la place qu’elle
* De tous les sons, celui qui va le plus directement à notre cœur, c’est, sans contredit, la voix humaine; et tous les instru- ments qui en approchent le plus, sont aussi d’une expression plus touchante, et d’un son plus parfait. Ceux de la voix d’un homme, quand ils sont bien nourris, bien ménagés, ont un moelleux, une variété, une énergie au-dessus de tout instrument; et une belle voix de femme, modulée par la sensibilité, est, sans aucun objet de comparaison, le son le plus suave et le plus touchant que l’art ou la nature puisse produire.
** On a toutefois fait une observation aussi exacte que le résultat en est déplorable; c’est que depuis une vingtaine d’années, les jeunes gens de notre cité, qui avaient le plus de loisir, n’ont pas cultivé la musique. Cela tient-il à ce que les études classiques ont absorbé tous leurs moments? mais ee motif n’est point fondé, selon moi, et je n’en veux pour preuve, que le talent musical qui se rencontrait fréquemment autrefois chez un grand nombre d'hommes d’étude, et qui se rencontre encore aujourd’hui chez beaucoup d'élèves, surtout des écoles spéciales.
** Madame Pleyel.
In | DISCOURS DU PRÉSIDENT.
occupe dans la séance publique des cinq classes de l'Institut de France. Diverses circonstances fortuites ont seules em- péché, cette année, la réalisation de ce vœu.
En effet, Messieurs, la musique est tout à la fois un art et une science ; sous le premier rapport, elle doit être consi- dérée comme l’un des arts les plus anciens qui existent , puis- qu'il se trouve mêlé aux plus antiques monuments du genre humain et l'objet des fables historiques des anciens peuples.
La mythologie qui, selon Bacon, est la sagesse de l’an- tiquité et qui sous le voile d’une ingénieuse allégorie n'a souvent été que l’histoire d'hommes célébres, ne nous an- nonce-t-elle pas qu'aux accents de la lyre d'Amphyon, une ville entière vint à éclore ; que les syrènes, qui ne seraient autres que d’attrayantes femmes de l’Ausonie, faisaient courir de grands dangers aux voyageurs trop sensibles peut-être au pouvoir réuni de la mélodie et de la beauté. Ainsi, que l’on entende un chœur de jolies femmes chanter à l'ombre des beaux ormeaux de Pausilippe ou sur les rivages de . Sorrente, un air de Cimarosa , de Rossini, de Bellini ou de Donizetti, et l’on verra de nos jours encore se changer en réalité la fable des sirènes. La mythologie ne nous apprend- elle pas que le chantre de la Thrace, qu'Orphée, osa quitter les régions de la lumière , et à la lueur du flambeau de l'amour conjugal , sut percer les profonds déserts du chaos et attendrir les dieux du Tartare par ses chants harmonieux et les accords de sa lyre ? Orphée, vous le savez, Messieurs, mit jusqu'à des lois en musique, et il fallait, comme le . disent des historiens, que sa musique eût une vertu bien surnaturelle , car je doute que, même de nos jours, on püt réjouir beaucoup son auditoire en lui chantant un chapitre de nos codes.
Un poëte a prétendu que l’aimable compagne du premier mortel fut l'inventeur des premiers sons mesurés ; que dés qu’elle eut entendu les gracieux accents des oiseaux , devenue
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leur rivale, elle essaya son gosier ; que bientôt elle y trouva une flexibilité qu’elle ignorait , et des grâces plus touchantes que celles des oiseaux même; qu’enfin s'appliquant chaque jour à chercher dans sa voix des mouvements plus légers et des cadences plus tendres, bientôt elle se fit un art du chant, présent des cieux, par lequel après sa disgrâce, elle sut souvent adoucir et charmer les peines de son époux exilé du divin Elysée.
Quoi qu'il en soit, il est évident que la musique compte autant de siècles de durée que l'univers même. Elle était en honneur chez les Juifs du temps de Jacob, et l'histoire nous apprend que Salomon était musicien et chanteur ; que les lévites musiciens étaient au nombre de vingt quatre mille *, et qu'on en employait jusqu'à dix mille à la fois dans les grandes fêtes, ce qui, vous le voyez, Messieurs, surpasserait de beaucoup le plus grand festival qu'ait pu organiser M. Berlioz de nos jours.
Si nous avancons de siècle en siècle, nous verrons à chaque pas la musique marcher de beautés en beautés, de nations en nations et étendre son empire.
Née dans l'Orient, la première patrie de l'imagination et du génie, la musique fut accueillie successivement par le peuple Hébreu, l'heureuse Assyrie, la savante Egypte et la sage Grèce, qui en ont fait une de leurs lois fondamentales et la dépositaire des monuments de la patrie.
Aussi, Messieurs, dans ces premiers temps où l’on ignorait encore l’art d'écrire et de peindre la voix, les peuples ne conservaient leurs chroniques que dans des vers qu’on chan- tait fréquemment pour en perpétuer le souvenir.
C'est ainsi qu'ils rappelaient leur origine, leurs dieux, leur morale, leur mythologie, leur religion; c’est ainsi
* Je dois avouer que je crois qu’il y a erreur, quant au chiffre, dans la traduction des divers auteurs, notamment de Rollin.
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que les bardes * et les ménestrels firent entendre leurs voix les uns dans les cérémonies du culte des Druides, les autres dans les castels des seigneurs et des princes.
Messieurs, la musique chez les Grecs, faisait une partie trés-essentielle de l'éducation; ils la regardaient comme morale. D’après les renseignements fournis par les diffé- rents auteurs, cet art comprenait non-seulement la mélopée, ou si l’on veut la théorie des sons, les règles de la mé- lodie, mais encore la poésie, l’éloquence, la déclamation , la danse, qu'ils divisaient en mimique et en saltation , enfin la notation de la parole en général; art fort cultivé dans ces temps antiques, mais qui nous est totalement inconnu.
Au dire d'Alypius, savant né à Alexandrie, en Egypte, et qui vivait vers l'an 360 avant J.-C., les caractères grecs qui servaient à figurer leur musique étaient au nombre de 4620. On comprend sans peine que cette musique, prise isolément, était bien autrement compliquée que la nôtre, exception faite toutefois de l'harmonie ** et de la compo- siion, et plus longue, plus difficile, à apprendre. Il n'est pas surprenant alors que cette étude exigeât plusieurs années pour que l’on pût en acquérir la connaissance. Les philoso- phes, les législateurs recommandaient à la jeunesse de cul- tiver cette science, de lui donner au moins deux ans, afin d'en avoir les plus indispensables éléments; preuve évidente de la haute estime publique dont elle jouissait.
En voulez-vous d'autres preuves, Messieurs? Le plus
* Bardus, cinquième roi des Celtes, fonda des écoles de mu- sique dont les maitres étaient appelés Bardes, du nom de leur instituteur. Ces maitres s’établirent d’abord à Montbard. Outre la harpe dont ils jouaient, ils se servaient du psaltérion, et d’un autre instrument appelé viole , différent de l’alto, et probablement de la viole dont Jean Rousseau a publié un traité en 1687.
* C’est aux siècles modernes (à partir du neuvième) que sont dus les systèmes de l'harmonie, du contre-point, de la fugue, de limitation et des canons. |
em
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sage et le moins voluptueux des législateurs anciens, Lycurgue, n'a-t-il pas donné de grands encourdgements à la musique ? un auteur judicieux, Polybe*, n’attribue- t-il pas la douceur des Arcadiens à l'influence de cet art, et la cruauté de leurs voisins les Cynéthiens, au mépris qu'ils en faisaient? Montesquieu **, l’un des pre- miers philosophes modernes, ne donne-t-il pas la préfé- rence à la musique, sur tous les autres plaisirs, comme à celui qui corrompt moins l'âme ? Quintilien *** ne tarit point sur les louanges de la musique: il la vante comme un aiguillon de la valeur, un instrument d'ordre moral et intellectuel, un secours pour la science, un objet d'at- tention pour les hommes les plus sages, une distraction et un soutien dans tous les travaux, pour les hommes des classes inférieures. Platon ne craint pas de dire que l'on ne peut faire de changement dans la musique qui n'en soit un dans la constitution de l'Etat. Ce sage ajoute que les préfectures de la musique et de la gymnastique sont les plus importants emplois de la cité. Aristote, qui semble n'avoir fait sa Politique, que pour opposer ses sentiments à ceux de Platon, est pourtant d'accord avec lui touchant la puissance de la musique sur les mœurs. Théophraste, Plutarque ****, Strabon *****, tous les anciens ont pensé de même. |
Aussi les héros de l'ancienne Grèce étaient-ils jaloux d’exceller en musique ; et l’on cite comme un fait extraordi- naire, l'ignorance de Thémistocle à cet égard. Socrate semble avoir eu quelques remords de conscience d’avoir négligé de s’instruire de cet art; car dans sa vieillesse, il apprit
* Hist., lib. 4. É
* Esprit des lois, liv. 4, chap. 8. ** Instit. orat., liv. 4, chap. 8. *** Vie de Pélopidas. ** Livre I.
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à toucher le luth et il dit à Cébès, un peu avant de boire la coupe de la mort, qu'il avait été tourmenté toute sa vie, par un songe dans lequel on lui disait: Socrate, apprends la musique et compose.
Par soumission pour cet avertissement, il s'amusait, dans ses derniers instants, à mettre en vers quelques fables d'Esope, et à composer un hymne en l'honneur d'Apollon, seul genre de composition harmonieuse qui füt à sa portée *.
Les peuples les plus sensibles (car, ainsi que les indi- vidus, il en est qui sont doués de sensibilité à un degré plus éminent que les autres) rendirent une sorte de culte à la musique. Les Egyptiens déclarérent qu'ils l'avaient recue du ciel **; les Hébreux la consacrérent à la divi- nité ***, et les us , Comme je vous l'ai dit, Messieurs, ne l’honorant pas moins , la mirent au nombre de leurs législa- teurs; ils l'introduisirent partout, dans leurs jeux, leurs cérémonies et leurs fêtes ; ils l’appelérent à leur naissance, à leur hymen, à leurs funérailles ; enfin ils lui durent des héros, des sages et de bons citoyens.
Les Romains ****, imitateurs de leurs voisins dans les arts, empruntérent, sous les rois, la musique aux Étrusques Fos
* Platon, Phédon, sect. 4.
** Diodore de Sicile, Hist. Liv. 1, 66 8 et 9.
** Parahp. chap. XV, Y: 27.
**% Depuis les premiers temps de la République j jusqu’au règne d’Auguste, les Romains ne firent presque aucun cas des arts ni des artistes, qu’ils appelaient artifices, et qu’ils confondaient bien plus positivement encore que les Grecs, avec les artisans. Toutefois, malgré leur fierté dédaigneuse pour les arts, ils eurent des musiciens et des théâtres avant d’avoir des boulangers, qui ne commencérent à être établis dams la ville que sous le règne de Trajan, l’an 580 de la fondation de Rome: avant cette époque chaque famille faisait son pain, et c'était, ainsi qu’en Grèce, comme cela est présumable, l'ouvrage des femmes.
**** Un monument impérissable de l’existence de l'harmonie chez
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et pendant la république aux Grecs, lorsqu'ils envoyérent leur demander la loi des douze Tables.
Sous les empereurs, la musique joua un rôle plus im- portant: Valère-Maxime nous révéle l'existence d’un collége ou école de musique fondée dans la métropole du monde. Caligula , qui avait une fort belle voix, combla les musiciens de présents et de privilèges ; Claude protégea aussi la mu- sique et les artistes et décerna à ceux-ci jusqu’à des cou- ronnes d'or. Quant à Néron, il cultiva la musique en homme de l’art; ainsi lorsqu'il fut revêtu de la pourpre, il consacra une grande partie de son temps , dit Suétone, à l'exercice de son art favori: s’enfermant tous les jours avec Terpnum, le joueur de lyre et de cithare le plus renommé qu’il y eût alors, il prenait des leçons de chant qui se prolongeaient jusque dans la nuit. Dés la troisième année de son règne, il ne balança point à chanter en public sur le théâtre; il débuta sur celui de Naples et y acquit un succès d'empereur , succés tel, que des musiciens accoururent de toutes les contrées pour l'entendre. Il est vrai qu'il avait créé un corps de claqueurs bien supérieur, à tous égards , à ce que nous voyons aujourd'hui dans nos théâtres de Pa- sir. Néron retint cinq mille musiciens à son service, leur donna un costume uniforme et leur apprit de quelle maniëère il entendait être applaudi. Vous savez encore, Messieurs, que le peuple le pria un jour de chanter dans une des rues de Rome, où il passait, et que l'empereur ne refusa point de faire entendre sa voix divine, aux grands applau- dissements de la foule.
Après un injuste exil de Rome, la musique, comme si elle avait pu être complice des extravagances et de la
les Étrusques existe dans ce vers du huitième livre de l’Énéide de Virgile, qui apprend à la postérité la plus reculée, qu’ils furent les inventeurs de la trompette :
« Tyrrhenusque iubæ mugire per æquora clangor., »
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férocité des Caligula et des Néron, la musique, s'épurant comme les belles âmes dans le malheur, fut appelée à jouir de la plus noble gloire et présida aux premiëres réunions, aux rites et au culte de l'église chrétienne ; elle chanta les bienfaits de Dieu, remplit les zélateurs du nouveau culte d’un saint courage qui leur fit affronter leurs per- sécuteurs, et souffrir intrépidement le martyre. Elle ne cessa, dans les premiers siécles de l'Eglise, d'être la consolatrice des proscrits jusqu’à ce que saint Ambroise, puis saint Grégoire, la rendirent aux arts en lui donnant une constitution fixe. Au huitième siècle, le pére de Charle- magne introduit les orgues en France, et la musique instru- mentale renait pour s'unir à sa fidèle compagne la musique vocale; enfin, Guy d’Arezzo parut et fixa les lois de la musique en en établissant la base didactique *.
* On sait que tout le système musical des Grecs, n’était com- posé à sa naissance que de trois sons, ri, fa, sol; de quatre ensuite, mt, fa, sol, la, qui formaient un premier tétracorde, ou intervalle de quarte; plus tard, de huit, ut, ré, mt, fa, sol, la, st, ut, d’où ressortait l'accord de leur lyre ou cithare, divisé en deux tétracordes, ut, fa, sol, ut, avec un ton de disjonction au milieu; ensuite de dix, la, si, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut. Ce système primitif du tétracorde fut promptement étendu et la cithare, au lieu de quatre cordes, finit par en avoir douze, selon Plutarque. Aussi le système des sons chez les Grecs, s’étendit peu à peu, s’éleya par degrés du nombre trois à celui de seize et subsista ainsi jusqu’au temps de saint Ambroise. Guy d’Arezzo l’étendit au grave en ajoutant la note so! au-dessous du {a grave des Grecs; il fut l'inventeur du B mol, de même que du B dur ou B quarre, et depuis cette époque l’échelle des sons s’est accrue de telle sorte (pour les instruments) que le nombre s’en élève maintenant à quarante-six, pouvant donner soixante-dix-huit demi-tons appréciables, de l’ut extrême grave au fa extrême aigu du piano.
Il parait que les anciens Celtes ne connaissaient ni de nom ni d’intonation, la note si, qui ne fut inventée que vers la fin du seizième siècle. On remarquera, sans doute, comme une chose
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 11 Messieurs, dirons-nous, avec quelques critiques, que la musique des anciens était sans goût, que leurs airs étaient sans mouvement, leurs instruments sans âme*, leur har- monie sans expression et ne formant que du bruit sans accords? Non, non; sans être de l'avis de Dom Calmet, qui place la musique ancienne au-dessus de la musique moderne, je pense que celle-là n'était pas sans mérites, et qu'elle était riche en mélodies. Alors, dans son prin- temps, telle qu'une jeune nymphe belle sans fard, vive sans affectation , elle marchait à la suite de l’aimable nature. Mais quoique les anciens eussent autant de passion que chez nous, que chez eux Ja musique produisit des effets sur- prenants, il faut convenir qu'ils n'avaient aucune idée de notre harmonie et du contre-point; autrement on ne con- cevrait pas que saint Ambroise et saint Grégoire n’en aient rien su ni rien transmis. D'ailleurs nous savons que les tierces étaient pour les Grecs des dissonnances et les quartes des consonnances; tout prouve donc qu'ils n'ont jamais connu l'harmonie, ainsi que le pensent J.-J. Rousseau et Rollin. Quoi qu'il en soit, beaucoup de termes et d'éléments de la musique des Grecs se sont conservés jusqu’à nous, et il n'est pas jusqu'à la cachucha, cette danse espagnole ré--
fort étrange, que le hasard ait voulu que l'hymne de saint Jean, auquel Guy d’Arezzo emprunta les noms de notes qu’il nous a léguées, commençât, dans sa première partie, d’une manière os- tensible et régulière, par ces six syllabes celtes ut, ré, mi, fa, sol, la; celui qui écrivit cet hymne connaissait-il ces noms an- tiques, et s’est-il fait un jeu de les appliquer systématiquement aux vers latins dans sa première strophe ?
* Si la nature de ce discours ne me faisait déjà craindre d’avoir été trop prolixe, j'aurais donné quelques détails intéressants sur ‘les instruments des anciens. Je dirai donc seulement qu’ils possé- daient diverses espèces de flûtes, telles que la nihèle, le plagiolos, : l'hyppophorbe, l’éléphantine, la parthénienne, la lyre, le luth,
49 DISCOURS DU PRÉSIDENT.
cemment mise en vogue sur nos théâtres, qui ne soit la cordax des Grecs, l’une des trois danses bachiques des anciens *, et les castagnettes, dont nos danseuses savent marier le bruit à leurs gracieux mouvements, ne sont autres que les crembala des Grecs, comme leurs crotales sont nos cymbales. | Je vous ai rappelé, Messieurs, que la musique intro- duite par David dans les tabernacles du Seigneur, y entra suivie des filles de Sion, pour soutenir la majesté du lieu saint, pour augmenter la pompe des sacrifices, pour rele- ver le spectacle de la religion. David, lui-même, précède en dansant, l'arche auguste; il règle ses pas légers sur les sons de sa harpe ravissante; dans tous ses cantiques, il demande que ses accords soient mille fois répétés sur la cithare, sur la cymbale, sur l'orgue, sur la trompette. Aussi les soins de ce prince religieux avaient-ils rendu les lévites les premiers musiciens de l'univers. Enfin, Messieurs, parcourez toutes les pages de la loi antique, partout vous rencontrerez, ou des concerts de louanges, ou des cantiques de victoire, ou des chants de funérailles. Il semble qu'au-
la cithare, sortes de lyre, le psaltérion, les timballes, le tambour, des trompettes, le lituus, le buccin, etc. Les Juifs possédaient aussi le magrapha et la sambuca qui, selon Daniel, serait le ma- gadis dont parle Anacréon. |
Je ne parle que pour mémoire du violon ou rebec dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Ce n’est que sous le règne de Charles IX que le violon actuel fut introduit en France, et l’on sait quelle puissance a depuis acquis cet instrument sous les doigts et Sous l’archet de Corelli, de Tartini, de Pugnani, et en dernier lieu sous ceux de Viotti, de Baillot et de Paganini.
* Nous devons dire, toutefois, à l’avantage des anciens, que nul n'aurait osé se permettre cette danse bachique, laquelle consistait, comme de nos jours, en une saltation assez vive avec des mouvye- ments très - significatifs des reins, s’il n’avait été préalablement échauffé par les fumées du vin.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 43
cune voix mortelle n’est digne de l'oreille du Seigneur, si elle n’est portée sur les ailes de la musique. .
La loi nouvelle, Messieurs, a conservé à la musique sa place dans les sanctuaires, et, à cette occasion, l’évêque d'Hippone, saint Augustin, s'écrie: « Je ne puis trop > approuver les chants dont retentissent nos temples ; par » ces augustes accords je me sens vivement ému, pénétré >» de cette sainte ivresse et de ce respect qu'inspire la > demeure de Dieu. »
Ainsi, Messieurs, la musique peut échauffer la dévotion, comme le courage, la bienveillance, la pitié; elle peut rendre la paix à l’âme, lui communiquer une douce mé- lancolie qui affecte le cœur sans le peiner, ou le frapper d'une horreur sublime qui étonne, transporte et exalte en même temps l'imagination.
Milton* était si persuadé des bons effets de l'expression musicale, qu'il lui attribue le pouvoir d’exciter des mouve- ments louables dans les diables eux-mêmes.
Au reste, Messieurs, je ne hasarde point un sentiment isolé, quand je soutiens que le mérite de la musique ne se borne point au gracieux, et qu’il s'étend jusqu’à l’utile ; je ne fais que me ranger au sentiment reçu chez la sage an- tiquité. En effet, la musique peut épurer, polir les mœurs, adoucir, rectifier les passions, unir, associer les esprits des citoyens; elle enrichit et embellit les arts savants ; et si l’im- portance de la musique n'avait été reconnue, les législa- teurs de l'Egypte, de la Perse, d'Athènes, les maîtres des nations, auraient-ils fait une loi de cet art? S'ils n'avaient jugé sa durée nécessaire aux destins heureux des empires, l’auraient-ils fait marcher de front avec la religion ? Lycurgue, voulant former une république de héros, aurait-il inscrit la musique dans le livre austère de Lacédémone ? Platon,
* Paradis perdu, liv. 1, vers 549.
4 DISCOURS DU PRÉSIDENT.
Aristote, Montesquieu et tant d’autres philosophes anciens et modernes, en auraient -ils recommandé l'usage comme d'une science également née pour le bien des mœurs, pour le progrés des vertus, pour l’embellissement des arts, pour l'union et la consolation des humains * ? aurait-on lu enfin sur la façade de l’école de Pythagore, cette inscription qui semblerait plutôt destinée à notre conservatoire de musique : « Loin d'ici, profanes! que personne ne porte ici ses pas, » s’il ignore la musique; profanes, loin d'ici. »
* Quand la musique ne devrait être considérée que comme une science propre à stimuler nos plaisirs et à nous consoler dans nos peines, ne devrait-elle pas posséder toutes nos sympathies ? Beau- coup de gens s’étonnent que l’on puisse faire de la musique lorsqu'on a quelque chagrin; tandis que selon moi, rien ne sym- pathise mieux avec des sentiments de tristesse qu'une douce mé- lodie ou qu’une rêverie harmonieuse.
COMPTE - RENDU
DES TRAVAUX DE L'ANNÉE 1849-1850,
PAR M. FAIVRE, SECRÉTAIRE.
MESSIEURS,
C'est pour la trentième fois depuis sa fondation, que l'Académie nationale de Metz vient rendre compte publi- quement de ses travaux. Ces trente années d'études et de méditations ont-elles été remplies dans la mesure des besoins intellectuels de l'époque, et de la population au sein de laquelle l'Académie a pris naissance? Ce n'est pas à la compagnie qu'il appartient de se rendre ce témoignage. Puisse-t-elle toujours demeurer fidéle à sa devise: 7’'Utile ; s'abstenir des recherches et des discussions oiseuses ; s’inspirer de plus en plus des nécessités présentes; concourir, selon ses forces, à la solution des grands problèmes qui s’agitent aujourd’hui dans la sphère des intelligences ! Les générations qui vont nous suivre dans cette seconde moitié du xrx° siècle et qui recueilleront l'héritage de nos hardies et tumultueuses révolutions, diront si l'Académie a failli à sa mission, ou si, toujours calme et ferme au milieu de ces agitations inces- santes, elle a poursuivi la réalisation des progrès et _ améliorations possibles. |
46 COMPTE-RENDU DU SECRÉTAIRE.
L'esquisse de ses travaux pendant ces dernières années pourra sembler froide et pâle. L'Académie s'est sagement interdit toute discussion qui. de loin ou de prés, touchât à la religion ou à la politique. Or, s'il y a deux questions vives aujourd’hui , c'est la politique et la religion. Les in- térêts immenses qui se rattachent de nos jours à ces deux grands ordres de faits, absorbent exclusivement les esprits et les laissent indifférents ou distraits à l'égard de tout le reste.
Cependant, la politique, qui embrasse la vie matérielle des peuples, a pour éléments indispensables l’agriculture, l'industrie, le commerce, les arts; la religion, qui résume et qui élève à sa plus haute expression la vie morale de l'homme, bénit et sanctifie le travail, sous quelque forme qu'il se traduise. Les sociétés savantes qui s'efforcent d'éclairer du flambeau de la science le développement des arts, les progrés de l'industrie et de l’agriculture, ne sont donc pas un rouage superflu dans la grande machine sociale ; et, à quelque point de vue qu'on se place, on ne saurait dédai- gner ces travaux obscurs, cette influence lente et cachée, dont l’effet est d'autant plus assuré qu'elle s'exerce plus loin du conflit des intérêts et des passions. Si la société s’amé- liore, c'est moins à la faveur des débats animés qui s’agitent à sa surface, que par le travail sourd et inaperçu qui se poursuit incessamment dans ses profondeurs.
Agriculture. — Économie sociale. — Industrie.
L'Académie nationale de Metz, dont ces dernières consi- dérations résument l'esprit et les tendances, s'attache surtout à seconder les efforts de nos agriculteurs dans la voie pro- gressive où ils sont entrés.
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C'est ainsi que l’Académie, voulant répondre aux vues sages du gouvernement dans la distribution des primes et des récompenses affectées à l’agriculture , aprés avoir recueilli l'opinion du Comice et tous les renseignements qui pouvaient éclairer sa religion, a profité de la fète agricole d’Antilly pour répartir entre les divers agriculteurs de l'arrondissement de Metz, les honorables distinctions auxquelles leur donnait droit leur mérite spécial. Habile exploitation, travaux de défrichement et d'assainissement, disposition favorable et construction des étables et des écuries, emploi d’amende- ments calcaires ou d'engrais rarement utilisés, irrigations, perfectionnement quelconque dans un art ou une industrie agricole , tous ces titres à la reconnaissance du pays ont été honorés de distinctions et de récompenses, qui, dans un avenir prochain, tourneront, n’en doutons pas, à l'avance- ment de notre agriculture locale.
Toutefois, les opérations délicates de cette espèce de con- cours ayant révélé à l'Académie la difficulté d'apprécier avec justesse la situation des exploitations agricoles, M. André s’est appliqué à rechercher sur quelle base on pourrait en établir la prospérité relative, et ses méditations l'ont conduit à ce résultat, peu éloigné de celui qu'on a obtenu en An- gleterre , qu’une exploitation, pour être en pleine valeur, doit avoir 40 p. °/, de terres en prairies.
Appliquant, en outre, son zéle infatigable à l'étude de la maladie du froment, dite blé vibrioné, dont il entretient l'Académie pour la troisième fois et au sujet de laquelle il a excité le plus vif intérêt parmi les membres de la Société centrale d'agriculture de Paris, le même M. André pense que le changement de semence serait peut-être un moyen de combattre cette maladie, qui, par l'importance des pertes qu'elle a causées dans quelques localités, pourrait devenir un véritable fléau. :
Puis , continuant ses recherches sur le poids moyen des
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animaux livrés à la boucherie et sur la consommation de la viande à Metz, il offre aux méditations des étonomistes et des agronomes, des résultats statistiques du plus haut intérêt, parmi lesquels nous ne lisons pas sans une certaine émotion, que notre population, qui passe pour être moins bien nourrie que la population parisienne, a consommé, en 1848, 58 kil. 25 de viande par individu, tandis que
celle de Paris n’en a consommé que 58, et celle de Lille
que 44 k. 72.
La maladie qui depuis trois ou quatre ans affecte la pomme de terre, et qui a tant ému nos campagnes , dont ce précieux tubercule forme une des principales ressources, devait à la fois préoccuper l'ami de la science et l’ami de l'humanité. L'Académie a recu encore cette année, sur ce sujet, d’intéressantes communications de M. Kleinholt, chef de culture de MM. Simon fréres, et de M. Chevreux, cultivateur au Sablon, qui, tous deux, ont tenté d'éclairer de leur expérience les données de la théorie.
Sur les conclusions de la commission chargée de suivre les expériences de M. Kleinholt et d'en constater les résul- tats, l'Académie, appréciant l'importance des travaux dé cet habile et consciencieux observateur, lui a voté des re- mercimenfs.
Un autre objet qui, dans ces dernières années a fixé l'attention des hommes pratiques, c'est le nouveau mode de culture et d’échalassement de la vigne. L'Académie, qui avait déjà suivi avec infiniment d'intérêt les travaux viticoles de M. Collignon, d'Ancy, et qui a encore entendu cette année un mémoire justificatif de cet agronome distingué, inventeur de l’échalassement en fil de fer, a recu en outre de M. Lasolgne, vigneron à Ars-sur-Moselle , invitation de venir examiner un nouveau mode de culture de la vigne “dont il est l’auteur, et déjà soumis par lui à l'examen de MM. les Membres du Comice ; procédé différant à la fois et
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de l'aneien système, et de celui que l’art du vigneron doit au génie persévérant de M. Collignon, sur la valeur duquel l'expérience seule et le temps pourront un jour prononcer. |
Un petit modéle de houe à cheval, soumis à l'examen de l'Académie par M. Hérard, fabricant d'instruments aratoires, n'a pas paru différer assez de celui qui avait été présenté à la dernière exposition pour mériter un rapport spécial :. il a élé renvoyé à la commission de l'exposition.
Enfin, M. André, qu'il faut citer encore, et toujours, quand il s’agit d'études agricoles ou économiques, à proposé à l’Académie d'intervenir auprés de l'autorité municipale pour l’engager à provoquer une souscription , en vue d'acheter et de mettre en réserve une certaine quantité de blé, dans l'éventualité d'une augmentation à-peu-prés inévitable du prix du froment. Cette proposition n'ayant pas réuni tous les suffrages , n'a pas eu de suite; mais elle n’en est pas moins honorable pour son auteur, dont la louable sollicitude sera peut-être un jour justifiée par l'événement.
Le même genre de préoccupations, celles qui ont pour objet le soulagement et l'amélioration du sort de la classe ouvriére, à porté l’Académie, sur la proposition qui lui en a été faite par un de ses membres, à nommer dans son sein une commission pour constater les causes et le degré d’insalubrité des habitations de notre ville et de nos cam- pagnes, et pour rechercher les moyens d'y remédier. Le rapport consciencieux de cette commission, confié à M. le docteur Laveran, a paru de nature à mériter une prompte publication, et l'Académie en a immédiatement ordonné l'impression. |
M. de Saint — Vincent, appelé à des fonctions plus*élevées dans le département des Ardennes, et devenu membre cor- respondant de l’Académie après en avoir été l’un des mem- bres titulaires les plus éclairés et les plus laborieux, lui
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a envoyé un mémoire sur la Société de prévoyance et de secours mutuels récemment fondée à Charleville par les soins mêmes de l’auteur, mémoire dans lequel sont signa- lées diverses innovations d'un grand intérêt, en regard de l'avenir qui est sans doute réservé à ces utiles institutions.
Le Secrétaire lui-même, chargé par M. le Président de rendre compte d'un ouvrage de M. Robert-Guyard, qui a pour objet l'extinction du paupérisme, a dû jeter un coup - d'œil rapide sur ces immenses questions qui semblent résumer toutes les difficultés de notre époque, et en ètre le caractère exclusif, mais qui ont été et qui seront dans tous les temps un insoluble problëme en dehors du grand principe de la charité.
Dans un mémoire plein de faits intéressants , M. Worms a été amené par une étude comparative du département du Haut-Rhin et de celui de la Moselle, à exprimer le vœu que l'industrie prit dans celui-ci d'importants accrois- sements, seul moyen, selon M. Worms, d'arrêter une. émi- gration incessante., signe évident de souffrance et de malaise.
L'Académie, qui a dés longtemps prévenu ce vœu en instituant et en réalisant les expositions de notre industrie départementale , saisit avec empressement toutes les occa- sions qui se présentent de seconder le progrès des arts manufacturiers. C'est dans cet esprit qu'elle a fait faire cette année des expériences sur l'emploi du blanc de zinc dans la peinture; et conformément au rapport favorable qui lui en a été fait par M. Langlois, organe de la com- mission, elle a voté des félicitations à M. Leclaire, auteur du procédé, ainsi qu'à la société anonyme qui l’exploite à Paris. |
Le même M. Langlois a soumis à l'Académie, l'analyse de quelques minerais de fer du pays, en annonçant que ce mémoire ne devait être considéré que comme la pre- miére page d’un travail plus complet, qu'il avait l’inten:
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tion d'entreprendre, avec M. l'ingénieur Jacquot, sur tous les minerais de fer du département de la Moselle.
Enfin, M. Vincenot, au sujet d'une réclamation que le rapport sur la dernière exposition de l'industrie, avait fait naître, à donné, avec la précision qui caractérise son langage, une théorie du double foyer , optique et chimique, appliquée aux instruments de photographie, qui a démontré une fois de plus quels éminents services la science rend jour- nellement aux arts.
Sciences.
Dans les premières années de son existence, l'Académie de Metz, donnait une large part dans ses travaux aux sciences proprement dites. Peu à peu cette part s’est restreinte, à mesure que les transformations de la société ont tourné les esprits vers l’application des théories. Parmi les plus ingénieuses de celles qui ont marqué ces dernières années, il faut placer le télégraphe électrique, invention merveilleuse qui a soumis enfin au génie de l'homme cet agent mystérieux dont les derniers efforts du dix- huitième siècle étaient parvenus seulement à paralyser les effets redoutables. MM. Schiavetti et Belliéni ayant cons- truit, avec le simple secours de la description qui en a été publiée, un petit appareil de télégraphie électrique qui fonctionnait parfaitement, M. de Saulcy, chargé de rendre compte à l'Académie des expériences qui ont été faites à l’aide de cet instrument, a saisi cette occasion pour en faire connaître la théorie et le mécanisme, et a com- plété l'intérêt de son rapport en faisant connaître par quel étonnant procédé on est parvenu à calculer la vitesse de l'électricité.
La géologie, qui avait autrefois de nombreux et labo-
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rieux représentants à l’Académie a failli être oubliée cette année. Toutefois, l'analyse confiée par M. Robert à M. Lan- glois, de l'eau d'une source qui coule dans les galeries du fort Belle-Croix, a donné lieu à une discussion inté- ressante. Cette eau s’est trouvée fortement saturée de chlo- rure de sodium, ce qui porte à penser, ou qu'elle passe sur un banc de sel gemme, ou qu'elle est en communication avec les eaux de la Seille, qui contient la même subs- tance, mais en moindre quantité. Le voisinage de la source salée, dite du pont de Saint-Julien, appuie la première hypothèse, malgré la différence de niveau, différence, qui peut étre produite par un simple redressement des
couches. M. Ibrelisle, dans son rapport sur l'ouvrage de M. le
docteur Lecouppey relatif à Za curabilité de la phtisie, exprime, du fond de son cœur humain et bon, le regret de ne pouvoir partager toutes les espérances de l’auteur sur l’infaillibilité de sa découverte.
M. Schuster a envoyé les précieuses observations mé- téorologiques dont le soin lui est confié à l’école d’appli- cation de l'artillerie et du génie, et il y a joint le résumé de ces mêmes observations qui, continuées déjà depuis un certain nombre d'années, ne sont pas un des moindres ornements de nos mémoires.
M. Durutte a également adressé à l’Académie, au nom de M. Wronski, les œuvres de ce savant mathématicien, que l'illustre Lagrange plaçait si haut dans son estime.
EHüstoire et Archéologie.
J'ai nommé la science favorite de l’époque; elle ne pou- vait manquer d'avoir des amis sur un sol si riche en souvenirs. M. Robert, qui sait allier de laborieux loisirs avec de
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COMPTE-RENDU DU SECRÉTAIRE. 23
graves et nombreuses occupations, a envoyé à l’Académie un catalogue des monnaies de Posthume , et a rendu compte des études numismatiques de M. le colonel Uhrich , adressées à l'Académie sous le titre de: Renseignements sur quelques monnaies anciennes récemment trouvées près de la Petite- Pierre (Bas-Rhin).
C’est également par les soins de M. Robert qu'est parvenu à l’Académie un mémoire historique sur les hôpitaux de Verdun, dont l'auteur est M. l'abbé Clouet; tandis que M. Schmidt, de Trèves, correspondant studieux et zélé, envoyait une collection de dessins représentant les tombeaux des princes de Nassau et quelques autres monuments fu- nébres.
M. Victor Simon, dans un travail étendu sur l'industrie verrière depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, a réuni une foule de faits curieux relatifs à l’origine et à l'histoire du verre, à celle des gentilshommes verriers, à l'usage des fenêtres et des vitres au moyen-âge, à la pein- ture sur verre, aux glaces, aux émaux, aux mosaïques. De telles études ne peuvent manquer d'intéresser beaucoup à une époque où les diverses industries qui se rattachent à la fabrication du verre ont fait tant de progrés , et où la physique et la chimie , qui les ont si merveilleusement secondées , leur doivent à leur tour de si précieuses découvertes.
Enfin, M. Chabert, bon et studieux jeune homme, qui, à peine au sortir du collège , a les goûts sérieux d’un savant, a fait déposer, dans les collections de l’Académie , quelques pièces d'anciennes armures trouvées au Sablon, et y a joint peu aprés, une courte dissertation sur le sceau d’or apposé par François de Guise au bas d'un brevet que ce grand capitaine accorda à l'abbaye de Saint-Arnould.
PA COMPTE-RENDU DU SECRÉTAIRE.
Lettres, — Beauxsbarts.
M. l'abbé Maréchal, dont la simplicité et la modestie égalent à peine le vaste et profond savoir, a doté cette année l’Académie d'un beau travail sur le bonheur et le séjour des élus, et il a joint à cette savante dissertation des notes fort curieuses sur le Cantique des Cantiques. Les travaux de M. l'abbé Maréchal intéressent tour à tour l’érudit, le linguiste, le théologien , sans être dépourvus de ce par- fum de bonne et saine littérature qui décéle l’homme de goût ; et l’Académie est heureuse de voir chaque année ses mémoires s'enrichir d’études si pleines de science et de conscience.
Elle a reçu avec reconnaissance l'hommage que lui a fait M. de Gérando, procureur-général près la cour d'appel de Metz, du Cours normal des instituteurs primaires, dont son illustre pére est l’auteur. Il y a des noms qui donnent du prix à toutes choses : l'Académie, qui s’honorait de compter M. de Gérando parmi ses membres associés-libres , a déposé cet ouvrage, avec respect, sur les rayons de sa bibliothèque , il y sera consulté par les esprits élevés que préoccupe la grande question de l'enseignement élémentaire.
M. le professeur Munier , dans une dissertation approfondie, s'est attaché à combattre l'opinion du grammairien Chapsal , que toute intergection est une proposition elliptique; et telles sont, il faut l'avouer, les raisons dont M. Munier appuie sa thèse, qu'on est bien tenté d’être de son avis. Mais il est, comme on sait, peu de terrains sur lesquels on soit moins d'accord que celui sur lequel se place notre bon collègue (grammatici certant). Nous attendrons, pour nous prononcer, que M. Chapsal ait pris la peine de lui répondre, et que la lumière ait jailli du choc des opinions.
COMPTE-RENDU DU SECRÉTAIRE. 95
Quant aux muses, elles ont à-peu-près fait défaut cette année. Ce n'est pas que les doctes filles soient complètement inconnues sur les bords gracieux de notre Moselle; mais en aucun temps elles n’ont beaucoup hanté l'Académie. Comment pourraient-elles se jouer parmi les graves méditations du chimiste et du géomètre? Ces fronts calmes et froids les intimident. D'ailleurs, pour les encourager, il faudrait leur sourire, n0n les piquer. Elles sont sensibles et fières ; elles boudent. Espérons que leur caprice ne tiendra pas contre le doux besoin de plaire, si cher à leur sexe, et qu'elles ne nous ont pas dit leur dernier mot. Nous en avons pour gages quelques fables, deux satires et un conte touchant de M. Macherez, avec une épitre de M. Munier à M. Brosset, compositions légères qui ont fait trève quelques instants aux sévéres élucubrations de la science.
D'ailleurs, à défaut de produire, l’Académie, fidèle à ses traditions , s'est efforcée d'encourager, d'inspirer et d'ins- truire. Répondant au vœu qui lui en a été exprimé par l'administration municipale , toujours préoccupée des besoins moraux et intellectuels de la cité, l’Académie a continué ses lectures du soir qui, pendant quatre mois de cet hiver, ont réuni, trois fois la semaine , un auditoire aussi calme et honnête , qu'intelligent et sympathique. Auditeurs et lecteurs, également bienveillants, ont toujours paru se comprendre, et si ces lectures n’ont pas exercé une grande influence morale , elles ont du moins témoigné du désir qu’avaient la ville et l'Académie d’être gracieuses à la population : la tenue constante de l'auditoire ne permet pas de douter que le but n'ait été atteint.
Moins heureuse dans son appel aux savants, aux écono- mistes, aux penseurs, l’Académie n’a reçu, cette année, aucun mémoire en réponse aux diverses questions qu’elle a propo- sées et mises au concours. La gravité de la situation politique en est peut-être la cause. Espérons, car il faut toujours
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espérer , que l'année académique dans laquelle nous entrons, moins agitée et moins stérile, verra se rouvrir ces joûtes pacifiques qui témoignent du repos et de la félicité des peuples.
Les beaux-arts ont été moins sourds à son invitation. Regrettant de voir se perdre l'heureuse institution de nos expositions biennales, l’Académie a réuni les éléments dis- persés de l’ancienne Société-des amis des arts, et a provoqué, pour.cette année, une exposition nouvelle, dont le retour de deux ans en deux ans, entrant désormais dans ses attri- butions réglementaires , comme les expositions quinquennales de l’industrie, sera moins exposé à tomber dans l'oubli, et à laisser languir, dans l'obscurité des ateliers, le talent et le génie de nos nombreux artistes. Le succés de cette exposition a d’ailleurs hautement justifié la pensée de l'Académie. Sans nous ériger en juges dans une matière aussi délicate, nous croyons être l'expression de l'opinion publique en affirmant qu'à aucune époque nos arts n'ont jeté plus d'éclat, ni donné plus d'espérance ; et nous ne craignons pas de leur prédire un prochain et brillant avenir, si, de plus en plus fidèles à l'étude naïve de la bonne nature, ils s'efforcent, en outre, de pénétrer dans le mystérieux et ravissant do- maine de la poésie. Là est le grand secret de plaire, là aussi est la grande mission de l’art: heureux celui qui brûle du feu sacré, et qui puise , dans une belle âme, les inspi- rations de son génie !
Personnel de l’Académie.
Les sociétés ne meurent pas comme les particuliers , mais elles se modifient sans cesse dans les membres dont elles se composent, parce que l'homme, de sa nature, est variable et changeant. L'Académie de Metz, grâce au ciel, n’a point
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fait cette année de ces pertes douloureuses et irréparables dont la mort vient trop souvent l'affliger. Cependant elle a eu le regret de voir s'éloigner, pour un temps indéfini, M. le docteur Dieu, dont la facilité laborieuse enrichissait ses séances de fréquentes communications ; et elle ne se console de son absence que par l’espoir de ne pas être oubliée sur le sol d’Afrique par ce studieux correspondant, qui va sans doute recevoir de nouvelles inspirations de la. nature énergique et riche dont il est environné...
Privés par leurs occupations d'assister aussi réguliérement qu'ils le désireraient aux séances de l’Académie, M. le colonel Mengin, M. Dufresne et M. Scoutetten ont passé de la classe des membres titulaires dans celle des membres associés-libres: Mais l'Académie espère bien que, dans cette nouvelle posi- tion, MM. Mengin, Dufresne, Scoutetten ne la priveront pas plus que par le passé du concours de leurs lumières et de la communication de leurs travaux.
Les vides que ces. déplacements avaient laissés dans la liste de ses membres titulaires , n'ont pas tardé à être com- blés. Elle s'est empressée d'y inscrire M. de Salis, ancien élève de l’école polytechnique, mathématicien et archéologue distingué, aujourd'hui représentant de la Moselle à l’Assem- blée nationale, et dont les recherches savantes intéressent à un haut degré l’histoire de nos antiquités messines. Elle a également accueilli M. de Saulcy, ancien officier de marine, sorti, comme M. de Salis, de l’école polytechnique , membre de la Société d'histoire naturelle, et frère de M. Caignard de Saulcy, dont les intéressants travaux numismatiques ont enrichi plusieurs années de nos mémoires.
M. Worms, directeur du comptoir d'escompte et auteur d’un abrégé de l’histoire de Metz couronné par l’Académie; a pris place à son tour, avec le titre de membre titulaire, parmi les juges de son ouvrage, dont il partagera désormais les travaux.
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Enfin, M. Boileau, . capitaine d'artillerie, professeur à l'école d'application, a repris la place qu'il occupait il y a quelques années à l'Académie, et lui promet un utile concours, principalement dans l’ordre des études physico-mathématiques auxquelles il s’est appliqué.
MM. Schiavetti et Belliéni, opticiens, et M. Samson, artiste vérérinaire, ont été admis comme membres agrégés.
MM. Quiquandon, capitaine du génie, Uhrich, colonel en retraite à Phalsbourg, et Achmet-D'’Héricourt, secrétaire de l'Académie d'Arras, font désormais partie de l’Académie de Metz en qualité de membres correspondants.
Ici, Messieurs, se termine la tâche de votre secrétaire. Il se hâte de déposer des fonctions qu'il n'avait acceptées que par obéissance, avec une juste défiance de ses forces, et comme un appoint de l’honneur qu’il a eu autrefois de vous présider. Le mérite, le dévouement, l’urbanité du savant zélé qui va les exercer désormais, vous dédommage- ront amplement de tout ce qui manquait à son prédécesseur. Comme l’Académie, dont il sera sans éclat un des principaux rouages, il s’appliquera à vivifier et à régler l’action bien- faisante de la science.
Humble société de province, l'Académie de Metz ne sau- rait, sans injustice, se faire illusion sur la valeur absolue de ses travaux. Si le recueil lui en est demandé jusqu’à Saint- Pétersbourg et aux États-Unis, elle n’ignore pas qu'elle est redevable de cet honneur aux spécialités hors ligne qu’elle a de temps à autre la gloire de compter dans son sein. Mais, quelque faible opinion qu'elle doive prendre d’elle- même , l’Académie n'en demeure pas moins dévouée à la tâche qu'elle s'est imposée. L'objet que se proposent les hommes sérieux, est de bien faire ce qu'ils se croient appelés à faire, non d'attirer sur eux l'attention, ni de s'offrir à l'admiration et à la reconnaissance publiques. On est trop heureux, soit qu'on travaille isolément, soit qu'on
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mette en commun ses études et ses veilles, de pouvoir se rendre ce témoignage qu'on a fait un peu de bien. L’Aca- démie n'attend pas d'autre prix de ses efforts. Être utile, encore une fois, telle est sa devise et son ambition. Il n’en est pas de plus noble, il n'en est pas non plus qui lui soit plus chère : elle espère bien n'y‘faillir jamais.
LETTRES.
. SUR LA FIN DE LA VIE,
PAR M. MACHEREZ.
Quel étrange moment que la fin de la vie!
De son cours une fois que la source est tarie, Oh! comme tout alors s'éloigne et s'obscurcit,
Et comme l'horizon soudain se rétrécit !
La nature, en jetant sur tout un voile sombre, Semble nous préparer à descendre dans l'ombre. Ainsi que l’âge mûr la jeunesse nous fuit,
En tout lieu le dégoût, la tristesse nous suit; Tout passe devant nous plus rapide que l'onde, Comme si nous n'étions déjà plus de ce monde. Du passé nous n'avons qu'un obscur souvenir; Comme un gouffre sans fond nous voyons l'avenir. Cependant arrivés au bout de la carrière,
Nous jetons en tremblant un regard en arrière. Que voyons-nous qui soit digne de nos regrets ? ‘Un siècle de malheurs pour un jour de succès, Un théâtre d'horreurs, de crimes, de misères ; Un déluge de sang, des discordes, des guerres.
LETTRES.
Mais le moment approche ; à l'aspect de la mort, Nous faisons pour la fuir, un inutile effort:
Là, sous son bras de fer, tout au bord de l'abime, Que le recueillement est triste, mais sublime!
Tandis que le méchant, dévoré de remords, Demande en vain le temps de réparer ses torts,
Qu'il est doux pour le juste, en mourant de se dire:
J'ai bien rempli ma tâche, en paix je me retire !
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Re TS à
FABLES,
PAR M. MACHEREZ.
Le Singe et le Chameau.
Un chameau parcourait les villes, les hameaux, Portant un singe sur son dos, Et souffrant avec complaisance Ses gambades, sans dire mot. À la fin pourtant le magot Mettant à bout sa patience ; — « Ça, mon cher, lui dit le chameau, » Sais-tu bien que tu m'es un pénible fardeau ? » Pourquoi ne vas-tu pas de la même manière, » Sur le dos du lion, ou bien de la panthère, | » Îls sont, j'espère, assez puissants ? — » Hé! mon cher, j'y serais déjà depuis longtemps, Répondit le compère, » S'ils n'avaient de si longues dents! » Le bon chameau se mit à rire, Continuant son chemin sans rien dire.
Soyez trop bons, trop indulgents, Et vous serez dupes des impudents.
sen EEE press
LETTRES.
L’Ecureuil et la Belette.
Dans un cylindre de grillage, Tournant sur le pivot que portait une cage, Maint écureuil captif, ventre à terre, courait ; Car bonnement il espérait Retrouver au bout du voyage Ses pénates, son ermitage, Où naguère il vivait exempt de tout chagrin. Ah! qu'un si doux espoir inspire de courage! Un jour la belette à l'œil fin, Revenant de chasser les souris du jardin, En passart le vit à l'ouvrage. « Oh! dit-elle, comment! » Vous vous épuisez là bien inutilement ; » Quand vous croyez, mon cher confrère, » Avoir fait deux pas en avant, « De deux pas en arrière, » Vous retombez au même instant. » De son illusion l'écureuil revenant, Et ne voyant plus que misère, Ne put survivre à cette émotion.
Hélas ! notre déception N'est-elle pas la même? Nous montons et redescendons,
Sans faire un pas de plus vers le bonheur Ds
Auquel en vain nous aspirons.
Le Léopard et les Animaux.
« Il faut en convenir, disait le léopard Devant mesdames les panthères , Et ses autres confrères ; » Ce coquin de renard
33
5h
LETTRES.
» Est doué d'une adresse extrême. » Pour nous tirer d'un piège dangereux, » Faut-il trouver un stratagême, » Tromper un ennemi, lui fasciner les yeux, » C'est dans sa cervelle féconde, » Dans son génie et sa faconde » Que nous trouvons notre salut. » Avec quel art il sait arriver à son but! » Sa sagesse, ma foi, vaut bien notre vaillance. » Mais tandis qu'il parlait, Tout l'auditoire autour de lui ronflait ; Tant l'on écoute avec insouciance L'éloge le plus beau dont on n'est pas l'objet. Un ours les réveilla ; car plein de représaille, Avec assez d'esprit retournant la médaille, H fit un si vilain portrait Du renard qu'on louait, Que d'un éclat de rire L'auditoire partant, fit trembler la forêt.
Pour exciter le plus vif intérêt, Parlez-moi de l'art de médire Ou de griffonner un pamphlet.
Le Pêcheur et le Saumon.
Du haut d'un pont, Sur un courant assez profond, Maint pêcheur, la ligne tendue,
Suivait de l'œil, sans détourner la vue, Le liège conducteur d'un perfide hameçon, Comme si son destin dépendait d'un poisson!
Tantôt la plume vacillante
Le trompait par son mouvement: Tantôt sous une herbe flottante Elle plongeait subitement,
LETTRES. 35
Et le pêcheur de tirer brusquement, Comptant sur une belle proie, Hélas! c'était le plus souvent
Un brin de paille accroché dans la soie. Mais de poisson pas un fretin. De rage il pestait, quand soudain
Le liège obliquement vers la. vase s'enfonce.
Oh! oh! dit-il, heureuse annonce : Je tiens quelque chose de bon! En effet c'était un saumon. Tout tremblant de manquer l’aubaine,
Il veut tirer; mais le monstre l'entraîne, Et le secouant par un bond, Voilà notre pêcheur au fond.
De quel côté se trouvait l'imbéeille ? L'énigme n'est pas difficile.
O vous donc qui pêchez dans l'eau trouble aujourd'hui, Redoutez le saumon, défiez-vous de lui :
Tel se croit sûr de son manège, Qui se trouve souvent pris dans son propre piège.
nn —
Le Renard serviteur du Lion.
Un renard encore novice , D'un lion grand seigneur, Était le pourvoyeur
Chargé de garnir son office.
_ Et de préparer ses festins. Le sire faisait bonne. chère,
Et ne mangeait que les mets les plus fins. Le renard un jour, pour lui plaire, Vint lui servir un ortolan.
— * C'est, dit-il, mon seigneur, le mets le plus friand. »
— « Un ortolan, répond le sire !
» Tu prends pour tel un chat- huant?
30 | LETTRES.
» Le tour est bon, et je t'admire. » Ce mets est digne d'un manant, » Vas, vas ; tu peux en faire ton caprice. » Mais si tu veux rester à mon service, » Îl te faut, désormais, être un peu plus galant. » Le renard faisait triste mine. — « Bah! bah! lui dit le loup, vieux servant de cuisine, » Reporte lui ce mets demain: » Aujourd'hui trop matin » Îl s'est levé, je m'imagine. » Le renard l'écouta, Et le lendemain présenta Le même oiseau sous une autre tournure. — « Ah! s’écria tout joyeux le lion; » À la bonne heure, mon garçon; » De l'ortolan voilà bien la figure. » Qu'il est beau! quil est gras ! » Mon cher, tu m'avoueras » Que ton oiseau d'hier n'avait pas cette allure. » — « Hélas ! seigneur, » Répond le serviteur, » C'est pourtant, je vous jure, » Absolument le même oiseau; » Je n'ai rien trouvé de plus beau. » À ces mots le lion, rugissant de colère, De son antre aussitôt chassa le téméraire. — « Malheureux, lui souffla le loup, » Pour un renard tu ne t'y connais guère; » 1] ne fallait pas répondre du tout; ‘» Le sire avait avalé la pilule. »
Du puissant, mon ami, tel est le ridicule : Il ne pardonne pas même au plus innocent De l'avoir surpris ignorant.
— mr ON sr ——
07"
ÉPITRE
À MONSIEUR LE COLONEL B'",
PAR M. F. MUNIER.
Aimable Colonel, vous en qui l'on admire Le goût, l'esprit et la gaîté;
Vous qui, sur tous les tons, faites vibrer la lyre Dont Apollon vous a doté;
Vous êtes de ce dieu, permettez de le dire, Le véritable enfant gâté.
Boileau mordait ses doigts et se grattait l'oreille Pour trouver une rime ou cadencer un vers;
Mais à peine a paru votre œuvre de la veille Qu'une autre œuvre la suit, sur des sujets divers.
Votre plume élégante et pure Trouve, sans la chercher, la rime ou la césure, Et vos tableaux sont pleins de vérité. Cette heureuse facilité, Dont vous a doué la nature, Ecarte loin de vous toute rivalité.
Mais dans ce siècle mercantile Peu savent des beaux vers apprécier le style ; En vain l’on s’évertue à polir ses écrits. Le poète, aujourd'hui, fût-il même un Virgile, De quelque rare adepte est à peine compris.
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LETTRES.
Vous avez, Colonel, assez fait pour la gloire ;
: Votre place est marquée au temple de mémoire. Déjà l'heureux messin vous nomme avec orgueil ,
De vos vers, l'amateur garde l'épais recueil,
Et de notre cité le bibliothécaire
Le dérobe aux regards du profane vulgaire.
Des siècles à venir votre livre vainqueur Charmera Je poète et le froid chroniqueur;
Ïls verront de nos mœurs les peintures parlantes, De nos jardins publics les images riantes,
Et la description de ces salons brillants
Où l'orchestre conduit des pantins sémillants.
Alors, comme aujourd'hui, je vous le prophétise,
Des œuvres du génie on fera marchandise : . Un jour à nos neveux quelque nouveau forban Au prix de l'or vendra votre livre à l'encan.
Le fruit de vos loisirs nous plaît et nous amuse ; Cependant, Colonel, ménagez votre muse, Goûtez quelque repos dans le sacré vallon
A l'ombre des lauriers de Mars et d'Apollon.
41°t novembre 1849.
QUESTION GRAMMATICALE.
Monsieur, permettez-moi de vous demander votre avis sur la question suivante :
L'interjection peut-elle raisonnablement se traduire par une proposition dont tous les termes soient formellement exprimés, ainsi que le fait M. Chapsal dans ce modéle d'analyse : |
Ah! vous m'avez trompé. Cette phrase, dit-il, renferme deux propositions : 4h! proposition principale absolue, équivalant à je suis étonné. Je, sujet, simple et incom- plexe, parce que, etc...—Suis, verbe. — Etonné, attribut simple et incomplexe, parce que, etc. — Fous m'avez trompé; principale relative, etc...
Je m'abstiens, monsieur, d'émettre aucune idée person- pelle sur ce système d'analyse de M. Chapsal, désirant connaître à cet égard votre opinion pleine et entiére.
J'ai l'honneur d’être, etc.
RÉPONSE
PAR M. F. MUNIER.
Cette question paraît être, au premier aspect, quelque peu oiseuse; c'est ainsi que nous l’avions jugée de prime-
hQ , LETTRES.
abord. Cependant, aprés un examen plus attentif, nous avons reconnu qu'elle n'est pas sans importance, et qu'elle mérite d’être traitée sérieusement et avec quelque étendue. Mais avant d'entrer en matière, il convient de poser quelques principes élémentaires, qui seront la base de notre raison- pement. Voyons d'abord ce que l’on entend par proposition.
On appelle proposition l'expression d'un jugement de l'esprit à l'égard d’un sujet duquel on affirme ou on nie une qualité quelconque.
Toute proposition est essentiellement composée de trois mots, dont deux (le sujet et l’attribut) sont les signes des idées que l’on compare, et le troisième (le verbe) exprime l'opération de l'esprit, qui juge du rapport de ces deux idées. Le verbe et l’attribut sont souvent exprimés en un seul mot; c'est ce qui a lieu quand le verbe est attributif.
Quant aux interjections, il importe aussi, pour nous suivre dans le développement que nous allons entreprendre, de les distinguer en essentielles et en accidentelles.
Les interjections essentielles sont les premiers cris de la pature, que l’art n’a pu imaginer; ce sont les accents vifs, spontanés des passions communes à tous les peuples. Cette sorte d'interjection est donc moins l'expression réfléchie d'une idée que la manifestation d’un mouvement subit de l’âme.
Mais on emploie accidentellement comme interjections des mots qui expriment des pensées, des idées; tels sont si/ence ! courage ! miséricorde! bien! bon! paix! gare! et quelques autres. Dans ce cas, ce sont de véritables propositions ellip- tiques, des mots qu'on peut développer ainsi : Faites silence, faites-nous miséricorde, prenez courage, voilà qui va bien, c'est bon. Quant au mot gare, c’est tout simplement l’im- pératif du verbe garer, dont on se sert pour avertir de se ranger, de se détourner, de prendre garde à soi.
Chut! qu'on ne peut développer sans changer ce mot, peut se traduire par £aisez-vous. C'est une proposition im-
nn
LETTRES. k
plicite ; tandis que l’exclamation équivalente, silence ! pré- sente une proposition elliptique.
Au rang des interjections essentielles figure le 4! de M. Chapsal.
Suivant les grammairiens, ah! marque l'admiration, la crainte, la joie, la douleur, l’affliction, la surprise, le repentir, l’attendrissement, le désespoir, l’indignation; enfin tout ce qu'on veut:
Ah ! que l'on porte ailleurs les honneurs qu'on m'envoie ! Ab !- que les malheureux éprouvent de tourments !
Ah ! que je suis heureux de revoir un ami!
Ah! que la renommée est injuste et trompeuse !
Ah! s’il est un heureux, c'est sans doute un enfant. Ah! ne me parlez pas d'un vieux célibataire.
Ah! le voici: sortons ; il le faut éviter.
ses... Ah! voici Rabat-Joie!
Avec ses vérités, il s'en va tout gâter.
Un mot qui a l’étonnante propriété de marquer tant de choses, même les sentiments les plus opposés, pourrait bien ne signifier rien de tout cela. Le fait est que ce sont les mots qui précèdent ou qui suivent, ou bien le ton, l'in- flexion de la voix, quelquefois le geste, qui déterminent toujours le sentiment exprimé par ah!
Cependant il y a quelques interjections qui sont princi- palement adaptées à certains sentiments ; mais nous n'avons pas à nous occuper de celles-ci.
Après ce préambule, qui était indispensable pour l’intel- ligence de ce qui va suivre, passons à l'examen de la phrase analysée logiquement par M. Chapsal: 4A/ vous m'avez trompé.
Quand il s’agit de la découverte de la vérité, il faut se prémunir contre l'influence des autorités les plus respectables, quelque confiance qu'elles méritent. L'erreur de M. Chapsal tient essentiellement à ce qu'il a pris, du moins nous le
6
k2 LETTRES.
pensons, une idée peu exacte de la nature de \d'inter- jection.
Selon ce grammairien, ah! est une proposition princi- pale absolue, équivalant à 7e suis étonné. Vous m'avez trompé est une principale relative.
Que certaine interjection supplée quelquefois une propo- sition ; soit. Ce n'est alors qu'une proposition produite re- lativement à celui qui écoute. Mais y a-t-il proposition conçue par celui qui énonce le jugement ? C’est ce que nous nions.
En admettant que a! soit une proposition, ce ne serait certes pas la proposition absolue, comme le dit M. Chapsal. La véritable proposition principale absolue est précisément celle qu'il considère comme la relative. Elle est absolue parce qu'elle a par elle-même un sens complet, indépendant ; parce que, seule, elle exprime tout ce qu'on veut dire, savoir : Vous m'avez trompé. À moins d’avoir l'intelligence ren- versée , il est impossible de voir les choses autrement.
Nous ne savons de quelle manière M. Chapsal eût analysé sa phrase, si linterjection se fût trouvée à la fin: Vous m'avez trompé, ah!— Mais il est évident que cette cons- truction ne changerait rien à l'expression principale , et que l'accessoire serait toujours a /
Allons plus loin. Chacun sait qu’au moyen des points exclamatifs, on donne à une simple proposition la force d'une expression interjective. Nos romanciers et nos dra- maturges en fournissent de nombreux exemples. Il serait curieux de voir comment M. Chapsal analyserait sa phrase si elle était écrite ainsi: Fous m'avez trompé ! — On voit que l’interjection est ici représentée par un simple signe graphique, qu'un lecteur intelligent doit traduire par un accent de voix qui exprime le reproche.
Enfin M. Chapsal veut que &x!/ signifie je suis étonné. Cette interjection ne signifie pas plus Je suis éfonné que
LETTRES. L3
hélas! ne signifie je souffre; car on pourrait dire: ah! combien je suis étonné; hélas! que je souffre. Et si la phrase était négative: 4h! vous ne m'avez pas trompé; n'est-il pas évident que l'interjection aurait alors un sens tout différent ?
L'erreur de M. Chapsal vient de ce qu'il est parti d’un principe faux ; il a vu dans l'interjection ce qui n’y est point.
HI ne faut donc pas attacher à l'interjection essentielle une
valeur, une propriété qu’elle n’a point. Un sentiment n'est pas un tout composé de plusieurs parties, comme une pensée est composée de plusieurs idées. _ La véritable interjection, ce mot non-parole, se retrouve, à quelques différences près, chez des peuples différents. Ainsi, dans une langue quelconque, un Géronte de comédie , recevant la bastonnade, ferait entendre les mêmes inter- jections que renferment les vers suivants :
Aïe ! aïe! à l’aide, au meurtre, au secours, on m'assomme ! Ah! ah! ah! ah! ah! ah! Ô traître, Ô bourreau d'homme!
Les paroles seulement pourraient être traduites.
De toutes les personnes de la poitrine desquelles se sont élancés des ah! depuis le père Adam jusqu'à nous, on peut affirmer qu'il n’y en a aucune qui ait eu l'intention d'exprimer par ce mot, ou plutôt par ce cri, la liaison de deux idées; et encore moins de les formuler en proposition, suivant les règles de la syntaxe. À M. Chapsal était réservée la gloire de cette merveilleuse découverte.
À l'iostant où nous écrivons ceci, nous entendons un moineau franc qui jette le cri d'appel; un autre témoigne de douces émotions, un troisième exprime énergiquement sa colére. Ces accents de voix si vifs, si expressifs, sont de véritables interjections , qu'on peut facilement interpréter ; mais non pas traduire en sujets, verbes et attributs, comme
Lkl LETTRES.
le ferait sans doute M. Chapsals à moins qu’on n'accordât à : ces petits êtres la faculté de juger et de penser en forme, suivant notre maniére.
Nous pensons donc que le mot ah/ n'est l'équivalent ni d'une proposition implicite, ni d'une pensée; il n’est pas même le signe d'une idée. Il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer ce qui se passe en nous quand ce cri nous est subitement arraché par une émotion profonde, et dans un moment où l'âme n'est pas maîtresse d'elle-même. L'in- terjection essentielle est un mot indécomposable, qui ne fait pas même partie de la proposition, et que l’on price sans liaison dans le discours.
Nous avons vu que la proposition est, au contraire, l'ex- pression réfléchie de deux idées que l'esprit a volontaire- ment pesées, comparées, pour juger s'il y avait entr’elles rapport de convenance ou de disconvenance. En un mot, la proposition est la manifestation d’un acte, d’une opération de l'esprit: l'interjection est l'expression spontanée d’un sentiment de l’âme ou du cœur, qui agit avant que les règles du langage soient écoutées.
Nous terminerons cette dissertation en faisant remarquer que c'est à tort que les grammairiens classent parmi les interjections les mots crac, toc-toc, pouf, ouf, et quelques autres. Il est évident que ce sont de simples imitations d’un son produit, du bruit que fait quelqu'un qui suffoque ou une chose qui tombe, et non les signes d’une émotion du cœur. Ce n’est sans doute que l'embarras où l’on a été de classer ces mots, qui les a fait ranger parmi les inter- jections.
Le ah! répété, que fait entendre d’une voix languissante et plaintive une personne qui souffre; celui que lance le bûcheron en abattant sa hache, aprés avoir aspiré fortement, n'est pas non plus une interjection. Dans le premier cas, c'est un cri naturel, expansif, qui est arraché au malade
LETTRES. L5
malgré lui, et qui parait soulager sa douleur ; dans le second, c'est un cri involontaire et machinal, produit par une com- pression violente exercée sur la poitrine.
DISSERTATION
SUR
LE BONHEUR DES ÉLUS
ET NOTES SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES,
PAR M. L’ABBÉ MARÉCHAL.
C’est le jour d’une vic Qui d’un soir ténébreux ne sera point suivie, 6 200 0 eo O jour! où transporté d’une céleste ivresse, L'homme ressaisira l’éternelle jeunesse, Et, des cieux reconquis impérissable roi, HN pourra s'écrier : « Tous ces biens sont à moi, » O qu’alors il verra de natures nouvelles Détouler devant lui leurs beautés éternelles !
{Chénedotté, }
MESSIEURS,
Les doctrines relatives à l'origine et à la fin de l'homme, ce que la science et la révélation nous enseignent touchant l’immortalité de l'âme et nos destinées futures , sont de ces questions qui, dans tous les temps et dans tous les lieux, ont intéressé le genre humain. La puissance que l'âme exerce sur ses propres actions, le désir que nous éprouvons pour l’immortalité, le charme que nous goûtons lorsque nous avons fait une bonne action, l'espérance qui nous soutient au mi- lieu des plus rudes adversités ; les remords , au contraire, qui déchirent le cœur de l’homme pervers au milieu même de
LETTRES. L7
ses plaisirs, la pensée de la mort, la crainte de la justice di- vine qui viennent troubler ses fausses joies, nous démontrent que l’âme ne peut périr. Que faut-il conclure de ces ré- flexions ? Le voici : La félicité de la vie future est la fin la plus digne vers laquelle puisse tendre l'être intelligent et aimant.
Messieurs , pour traiter convenablement cette importante matiére, nous exposerons : 4° le sens qu'il faut attacher aux différents noms donnés au séjour des bienheureux ; 2° les textes de l’Ecriture sainte qui en parlent ; 5° les di- verses opinions émises sur le Paradis ; 4° quel est le dogme catholique sur ce lieu de la suprême félicité ; 5° quelles sont les principales descriptions qu'on en a données ; 6° ce qu'il faut penser de cette question : Où est le Paradis? 7° enfin quels sont les sentiments que doit nous inspirer la doctrine de l’église sur les récompenses de la vie future.
I.
La béatitude , qu’on appelle aussi le souverain bien ou la fin derniére, est définie par Boëce : « Un état parfait par la réunion de tous les biens ; » et par saint Augustin : « Le comble et la somme de tous les biens, bonorum omnium summa et cumulus. » La béalitude consiste dans la vision claire et intuitive de Dieu même , de laquelle découle pareïl- lement un amour ineffable et une joie surnaturelle. Le Dante en parle d’une maniëre aussi précise qu’elle est poétique : « Nous sommes montés, dit-il, au ciel (empyrée) qui est une pure lumiëre, lumiére intellectuelle pleine d'amour, amour du vrai bien, rempli de joie, joie qui dépasse toute dou- ceur (Paradis, chap. 30°). »
La croyance à la béatitude éternelle est l’objet du douzième article du Symbole des Apôtres. Les pères du concile de Constantinople l'ont exprimée par ces mots : &« moréto.…. Ewrrou tpxoueyou aievos (credo... vitam venturi sœculi). »
L8 LETTRES.
On l'appelle éternelle pour faire comprendre que ceux qui sont en possession de la véritable félicité ne peuvent jamais la perdre, et qu'elle n'est point bornée par le temps. La ‘béatitude éternelle ou la céleste félicité des saints est désignée dans la Bible sous les noms qui suivent: royaume de Dieu, paradis, ciel, nouvelle Jérusalem, maison de Dieu, sainte cité , terre des vivants, joie du Seigneur, torrent de délices.
Nous allons expliquer le sens qu'il faut attacher à ces dif- férents termes : royaume de Dieu, paradis , ciel, vie future ou vie éternelle. |
Notre Seigneur, après avoir traité du jugement dernier, ajoute, en parlant de lui-même : « Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, vous êtes bénis de mon pére: possédez comme votre héritage le royaume qui vous a été préparé dés le commencement du monde (S. Mat. chap. 25, v. 34). » La vie bienheureuse est évidemment désignée ici par le royaume de Dieu ou le royaume du ciel. Cepen- dant, ces deux expressions signifient souvent, dans l'Evan- gile, le royaume du Messie ou le règne de Jésus-Christ sur son église (Voy. S. Mat. c. 43, v. 11,19, 24, 51, 35, 44, h5, 473 c. 20, v. 4. S. Marc, de v. 26, ‘#4, S. Luc. c. 13, v. 19, 21).
Le mot Paradis est d’origine arménienne : c'est apy
(pardès) en chaldéen, (pardaïso) en syriaque. Les Sep- tante ont rendu ce terme par rapad'ersos. Il est pris: 4° pour une habitation délicieuse (Gen., c. 2, v. 8; c. 13. v. 40, Eccl®, c. 2, v. 5. Cant., c. 4, v. 13. Edras, c. 2, v. 8). « Paradisus, disent les rabbins, /ocus præstantior omni ali& terrd. » 2° Pour le séjour des bienheureux (Ecclésiastique, c. #4, v. 16. S. Luc, c. 23, v. 43, 2 Cor. c. 12, v. 4). Le mot paradis a été cnprunté par Le Grets re aux Perses, puisqu'il se trouve employé par Xéno-— phon. Il signifie noise un jardin qu'un verger, qu'un vaste
LETTRES. L9
enclos, où les peuples, brûlés du soleil, réunissent ce qui les charme au plus haut degré : les eaux limpides , les parfums d'une odeur suave , les fruits délicieux , les beaux ombrages.
Nous lisons dans la Genèse (ch. 13, v. 40) que la vallée des bois, dans laquelle étaient situées les villes de Sodome et de Gomorrhe, ressemblait au paradis du Seigneur. Ferdousi, qui a recueilli les anciennes légendes de la Perse, nous montre les rois qui vivaient avant Cyrus, errant au lever du soleil dans des paradis ornés de fleurs, embaumés de roses et om— bragés par d’élégants cyprés et de hauts palmiers. Salomon avait aussi un paradis, plein d'arbres magnifiques et em- belli de plantes rares : on y trouvait la myrrhe, l'aloës, le nard , le baume mélés aux cèdres du Liban , aux palmiers de k Judée et aux arbres fruitiers des îles de la Méditerranée. Hérode-le-Grand voulut avoir un paradis dans l'enceinte même de Jérusalem ; il le fit si vaste et le planta d'arbres si élevés, que de loin, dit Joséphe, il présentait l'ensemble _ d’une forêt. On donnait aussi quelquefois le nom de pa- radis à de vastes forêts royales ; ainsi Néhémie prie le roi Artarxercès de lui donner des lettres pour Asaph, gardien du paradis des rois afin qu'il puisse couper les bois de cons- truction nécessaires à la réédification du temple. Ce terme de paradis qui revient souvent dans les livres des poëtes, signifie toujours un lieu charmant où il est délicieux de vivre. C'est dans le même sens que les musulmans donnent à la ville de Damas le nom de paradis terrestre. « Damas, dit un poëte syrien, est comme une étoile ou un diamant qui brille sur le front de l'univers. La joie et le plaisir ont choisi cette cité pour asile. Là sont des palais et des, fleurs, des jardins , des nappes d'eau; là, mürissent des fruits de toute couleur; là vous rencontrez des visages de la beauté la plus parfaite. Damas est le plus délicieux des para- dis terrestres... Heureux celui dont les jours s'écoulent dans cette contrée où souffle une brise embaumée ! > Le prophète
7
50 LETTRES.
Mahomet , dit une légende arabe, lorsqu'il vit Damas du haut des montagnes, frappé de la beauté de ces lieux, s'arrêta tout-à-coup, et ne voulut pas descendre dans la ville. « Il n'y a qu'un seul paradis, destiné à l’homme, s'écria-t-il s pour ma part, j'ai résolu de ne point prendre le mien dans ce monde. » Comme on ne connaissait point d'habitation plus délicieuse sur la terre qu'un paradis, les théologiens sont convenus de nommer paradis céleste le séjour dans lequel Dieu accorde aux saints une félicité éternelle. Mais de quel- ques termes que nous puissions nous servir, ils ne nous donneront jamais de ce lieu de délice une idée complète, puis- que le bonheur ineffable , réservé aux élus, est au-dessus de toutes nos pensées et de toutes nos conceptions. (Voy. Is., c. 64, v. 4. I'cor., c. 2, v. 9). — Le ciel, dans les livres saints et dans le langage de tous les peuples, signifie l’espace immense qui environne la planète que nous habitons, et qui, selon notre maniére de voir, est au-dessus de nous. Conséquemment le ciel désigne: 4° l'air ou l’atmosphére ; 2° l’éther ou l’espace éloigné où roulent les astres ; 3° le lieu où la divinité fait éclater sa gloire et rend souverainement heureux les anges et les saints. On sait que S. Bonaventure et plusieurs théologiens du moyen-âge ont divisé les cieux en trois parties: cœlum crystallinum, firmamentum et cœlum empyreum. Dans la religion égyptienne on distinguait quatre lieux dans l’univers. Les dieux habitaient le ciel le plus élevé, dans l’éther étaient les étoiles et le soleil, dans l'air les génies ou les âmes et sur la terre vivaient les hommes. Dans les légendes hiéroglyphiques, Amoun est souvent qualifié du titre de Seigneur des. trois régions célestes. En effet, lorsque la terre eut été considérée comme un élément distinct, l'air, l’eau, le feu furent attribués aux cieux. Ces trois cieux correspondent chez les payens à trois ordres de divinités : les démons ou génies de l'air, les étoiles ou les dieux inférieurs et les dieux supérieurs. À côté de la doctrine des trois cieux
LETTRES. 51
est née la croyance des sept eieux qui doit son existence à l'observation des sept planètes à chacune desquelles on attribua un ciel différent. Cette seconde division prit pro- bablement naissance chez les Chaldéens qui , dès l'époque la plus reculée, observérent les astres et mélérent leurs décou- vertes astronomiques de fictions religieuses. On retrouve déjà la doctrine des sept cieux dans le testament de Lévi, ou- vrage apocryphe des premiers siècles du christianisme. C'est dans le septième ciel que ce livre place les trônes et les séra- phins qui célébrent dans des hymnes la gloire de l'Eternel. Les scholastiques qui adoptérent l'existence des sept cieux furent au reste divisés sur les noms qu'il fallait leur donner. Le vénérable Béde les distingue en air, éther, olympe, espace, firmament, eiel des anges et ciel de la trinité. S. Jean Damascène compte au nombre des sept cieux celui des planètes. Dans les dernières divisions que nous venons de citer, le souvenir des sept planètes, qui avait donné nais- sance au nombre sept pour les cieux s'était effacé. Les pro- grés de l'astronomie avaient reculé de plus en plus l’espace céleste, et ces astres se trouvaient rapportés au même ciel. Cependant dans les écrits de quelques S. Docteurs qui ont précédé S. Jean Damascène, ainsi que dans le Dante il est fait mention de dix cieux, savoir: sept cieux pour les planètes, et, en outre, le ciel cristallin , le ciel étoilé et le ciel empyrée, d'après S. Thomas, est lumineux et immobile. Il enseigne que le ciel empyrée ou le paradis est le séjour de Dieu et des bienheureux. Le mot empyrée vient du grec turugs et signifie plutôt clarté et splendeur que feu ou cha- leur. Lorsque S. Paul fait mention de son ravissement au troisième ciel (X cor. c. 2, v. 9), il entend évidemment par ce lieu le ciel empyrée, celui ou réside la divinité, et on voit que, du temps de l’apôtre, l'existence des trois cieux était admise par les chrétiens. On dit encore d'une per- sonne qui est parvenue à un haut degré de contemplation,
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qu'elle est élevée au troisième ciel. On exhorte les fidèles à soupirer vers le ciel; on leur enseigne que la vertu est le chemin du ciel. Enfin le terme ciel se prend aussi pour Dieu mème, pour sa justice, sa providence... On dit le ciel irrité pour Dieu offensé. Grâces au ciel pour grâces à Dieu. La Bible emploie souvent la même métonymie, comme on le voit dans S. Luc (c. 45, v. 21); l'enfant prodigue dit à son père: « J'ai péché contre le ciel et contre vous. > On lit encore dans S. Mathieu (c. 21, v. 25): « D'où était le baptême de S. Jean ? du ciel ou des hommes ? » l'antithése n’exige-t-elle pas qu'on prenne ici le ciel pour Dieu? On sait d’ailleurs que la locution OYX/ OtS au nom du ciel pour au nom de Dieu était usitée parmi les juifs. On retrouve aussi dans les poëtes grecs les termes oùpayos (ciel) , éavurrsos (olympe) mis pour £es (Jupiter), Homére a dit: « érrep yag x'éÜanos GAvuTIoS aortpoanrhs (Si le veut ce Dieu qui habite l’olympe , qui lance la foudre) > Ilia., ch. 4° et Aristophane « rugAcs ya ovTos éoTi, rhror ovparor (Etes- vous donc aveugle ? Oui, par le ciel [parles Dieux ]) >» Plutus act. 2. x. 3.
Passons au sens qu'il faut attacher à la vie future.
On remarque dans certains phénomènes qui dépendent de l'organisation humaine des caractères distinctifs qui font de l'homme un être à part, et doivent lui assigner une distinction toute spéciale. Non-seulement l’homme a des sensations, il a en outre des idées morales, des perceptions intellectuelles ; par l’ac- tivité de son intelligence, il s'élève au-dessus des sens pour saisir l'infini, et la liberté qui préside à ses actions le rend capable de mérite et de démérite ; non-seulement il veut, mais il veut librement, de sorte qu'il peut s'élever d’abord à la no- tion du droit, puis passer à celle de son corrélatif, le devoir, sentant bien qu'il dépend de lui de se conformer aux lois ou de s’en écarter. Or, tous les peuples ont compris que l'homme qui transgresse ses devoirs mérite le blâme et
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un châtiment, comme celui qui les remplit se rend digne de louange et de récompenses ; car il est évident que Dieu ne peut regarder avec indifférence l'accomplissement ou la vio— lation de ses lois, ni traiter de la mème manière le juste qui se conforme aux desseins de sa providence et l’impie qui les méprise. Cependant il est de fait que souvent ici-bas le méchant prospère et l’homme de bien reste opprimé; le vice demeure impuni comme la vertu sans récompense, d'où il résulte qu'il existe un état à venir où le Très-Haut exer- cera sa justice et où les saints trouveront la paix et le bonheur qu'ils cherchent vainement sur la terre. Cette vérité est déve- loppée avec autant d'énergie que d’éloquence dans le Livre de la Sagesse (c. 5, v. 1-14): « alors les justes se sou- lèveront avec une grande fermeté contre ceux qui les ont tourmentés, et qui ont méprisé leurs travaux. À cette vue les impies seront troublés, et, dans un grand effroi, ils s'étonneront de ce salut inespéré et soudain disant en eux- mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoise de leur esprit; les voilà ceux que nous avions en mépris et qui étaient l'objet de nos outrages! nous insensés, nous esti- mions leur vie une folie, et leur fin un opprobre ; et les voilà comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est entre les saints ! Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité, et la lumiére de la justice n’a pas lui pour nous, et le soleil de l'intelligence ne s’est pas levé sur nous..... Que nous a servi l’orgueil ? Que nous a apporté l'ostentation des ri- chesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre, comme le courrier qui se hâte, comme le vaisseau qui fend la mer agitée, et ne laisse aprés lui aucune trace. . ... Nous n'avons donné aucun signe de vertu, et nous avons été consumés dans notre malice, voilà ce que diront en enfer les pécheurs. > & Quand je n'aurais, dit J.-J. Rousseau, d’autres preuves de l’immortalité de l'âme que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empécherait
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d'en douter. Une si choquante ‘dissonnance dans l'harmonie universelle me ferait chercher à la résoudre ; je me dirais: tout ne finit pas pour nous avec la vie; tout rentre dans l'ordre aprés la mort. >» «.L’âme est une substance, dit Leib- nitz; or une substance ne peut périr tout-à-fait sans un anéantissement positif qui serait un miracle; et comme l'âme n’a pas de parties, elle ne peut être divisée. ....; donc l'âme est naturellement immortelle..... (de plus). Dieu, par une disposition particuliére, pour accomplir les desseins de sa providence (veut)..... que l'âme, après sa sépa- ration conserve la mémoire et la conscience de tout ce qui s'est passé pendant sa vie précédente, pour qu'elle puisse être susceptible de récompense et de châtiment. .... toutes les fois qu'une âme qui se sépare de son corps est en état de péché mortel, et par conséquent en une mauvaise disposition à l'égard de Dieu, elle tombe par son propre poids comme une masse détachée, et qui n’est retenue ni arrêtée par aucune cause étrangère dans le gouffre de la perdition , et se trouvant ainsi éloignée de Dieu, elle s’inflige à elle-même la damnation..... Au contraire, pour ceux qui meurent amis de Dieu, une félicité éternelle leur est préparée qui consiste surtout dans la jouissance de sa heauté divine, comme nous l’apprend l’Ecriture sainte. » La vie de l'homme sur la terre n'est donc qu’une des périodes de son exis- tence, une des phases de sa destinée ; c'est un temps d'é- preuves qui suppose le temps de la justice divine, ct pendant que l'homme habite cette terre, il décide de lui-même de sa condition future. En un mot, la vie présente ne serait qu'une énigme ou plutôt un désordre moral, si elle finis- sait avec le corps, et s'il n'y avait pas une autre vie qui dût en donner l'explication et rétablir l'harmonie. Ainsi l’homme a-t-il eu toujours et partout le sentiment de cette vérité. Ainsi chez les nations barbares comme chez les peu- ples policés, on trouve sous des formes et des noms différents
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un séjour de félicité pour les bons comme un lieu de supplice pour les méchants ; c'est là une de ces traditions impérissables qui ont leur racine dans la nature de l’homme aussi bien que dans la révélation primitive, et qui sont par là même un témoignagé authentique et une preuve invincible de la vérité. -
IL.
La perspective d'un bonheur éternel aprés la mort est le puissant motif qui nous fait supporter avec résignation les peines de cette vie, et nous porte à la pratique des vertus héroïques du christianisme. C'est la méditation de la vie future qui soutenait et exaltait les anciens adorateurs du vrai Dieu , de même qu'elle animait le généreux dévouement des premiers disciples du Sauveur ; elle leur faisait mépriser tous les faux biens de ce monde à la vue de cette couronne immortelle que leur réservait le juste juge. Ils savaient que Dieu avait dit au patriarche Abraham: « Je serai votre grandé récompense (Gen., c. 15, v. 4). » Job, dans l’excés de ses douleurs, se consolait en pensant à sa destinée future: « Je sais, disait ce saint homme, que mon rédempteur est vivant, et qu'un jour il s'élévera sur la terre; et lorsque mon corps aura été consumé, je verrai encore le Seigneur dans ma chair..... cette espérance repose dans mon sein (Job. c. 19, v. 25-27). » Balaam s'écriait da camp des moabites en contemplant le peuple de Dieu : « Que mon âme meure de la mort des justes, et que mes derniers moments ressem- blent aux leurs! (Nomb., c. 23, v. 10). > Le prophète Daniel nous enseigne que « ceux qui dorment dans la pous- siére de la terre s’éveilleront : les uns pour la vie éternelle et les autres pour l’opprobre (ch. 12, v. 2). » David, par-. lant des justes, dit au Seigneur : « ils espérent à l'ombre de-vos ailes, ils seront enivrés de l'abondance de votre mai-
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son: vous les abreuverez du torrent de vos délices, car en vous est la source de la vie, c'est dans votre lumiére que nous verrons la lumiére (Ps. 35, v. 8-10). > « Pour moi, dit le pieux roi, revêlu de votre justice, je verrai votre visage, à Jéhova, et je serai rassasié quand appa-
raîtra votre gloire! (ps. 16, v. 17). > Et ailleurs le psalmiste
s'écrie : « Je ne veux que vous sur la terre, 0 mon Dieu! ... vous étes la force de mon cœur et ma part éternelle (ps. 72, v. 24-25). >» L'auteur du Livre de la Sagesse témoigne que « l'espérance des justes est pleine d'immortalité, leur affliction, dit-il, est légère, et leur récompense sera grande parce que Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui, Ils sont comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est entre les saints (CG. 3, v. 4-5, c. 5, v. 5). » Le second des sept martyrs dit à l'impie Antiochus : « le roi du monde nous ressuscitera en la résurrection de la vie éternelle, nous qui sommes morts pour ses lois (2 Mac., c. 7, v. 9). » « Cette croyance, dit Bergier, aussi ancienne que le monde, venait évidemment des lecons que Dieu avait données à nos premiers parents, et il n’en fallait pas moins pour les conso- ler de la perte de la félicité dans laquelle ils avaient été créés. Mais comme c'était à Jésus-Christ de rouvrir aux hommes la porte du ciel, fermée par le péché d'Adam, c'était aussi à lui de leur annoncer cette heureuse nouvelle, et de leur révéler le bonheur éternel plus clairement qu'il n'avait été montré aux anciens justes. » « Aussi ce divin Sauveur nous a-t-il représenté la félicité suprême sous les traits les plus capables d'affermir notre espérance, et sous les couleurs les plus propres à enflammer nos désirs. « Bienheureux, dit-il, ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. (S. Mat., c. D, v. 8). » « C'est la vie éternelle de vous connaitre, vous le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que vous avez ‘envoyé (S. Jean, c. 17, v. 3). » « Mon Père, je désire que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés soient
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avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire. (S. Jean, c. 17, v. 14). » æ Celui qui sera victorieux, je lui don- nerai de s'asseoir avec moi sur mon trône (Apoc., c. 3, v. 21). » « Les justes brilleront comme des soleils dans le royaume de mon Père (S. Mat., c. 13, v. 43). » « Nous savons, dit S. Jean (1"° ép., c. 3, v. 2), que quand Dieu viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui , parce _ que nous le verrons tel qu'il est. » « Nous ne voyons Dieu maintenant, déclare S. Paul, que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous le verrons face à face. Je ne le connais maintenant, qu'imparfaitement, mais alors je le connaïîtrai comme je suis connu moi-même de lui (4'° cor., c. 13, v. 12). » « Là sera le trône de Dieu et de l'agneau, et ses serviteurs le serviront. Ils verront sa face..... et là il n’y aura point de nuit; ils n'auront pas besoin de lampe , ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les éclairera, et ils régneront dans les siècles des siècles (Ap., c. 22, v. 3-5). » « Lorsque le prince des pasteurs paraîtra, dit S. Pierre (1"° ép., c. 5, v. 4), vous obtiendrez une couronne de gloire qui ne se flétrira ja- mais. » Est-il étonnant, après ces promesses solennelles , ces témoignages positifs, que les leçons et les exemples du divin maître aient fait croître, parmi les hommes, de ces vertus héroïqués qui avaient été jusqu'alors inconnues au monde, ét que le Rédempteur ait trouvé une foule de disciples qui ont sacrifié avec joie leur vie pour la cause sainte de celui qui devait les revêtir de sa propre gloire dans l'éternité! Aussi S. Bernard nous dit-il : « Heureux celui dont la pensée est sans cesse élevée vers le Seigneur! quelle peine pourrait sembler accablante à celui dont le cœur compte pour rien les souffrances de la vie présente en comparaison de la gloire future ? quel charme pourrait le séduire dans les plaisirs d’un monde pervers ? ses regards ne sont-ils pas toujours fixés sur les biens que lui prépare le Seigneur au séjour des vi-
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vants* ! >» Et S. Augustin s'écrie: < O demeure lumineuse et ravissante! j'ai choisi ton éclat, et le heu où habite mon Seigneur qui t'a formée de ses mains et qui repose en toi : exilé, mes soupirs montent vers toi... j'ai erré comme une brebis perdue ; mais j'espère que placé sur les épaules de mon pasteur je serai ramené dans ton enceinte **. » S Thérése, au moment de quitter cette vallée de larmes , dit à J.-C. dans l'effusion de son amour : « OÔ mon seigneur et mon époux ; la voà donc arrivée cette heure que je désirais si ardemment !.… l'heure est enfin venue où je sortirai de mon exil et où mon âme trouvera dans votre présence le bonheur aprés lequel ele soupire depuis si longtemps. »
III.
Vers le temps de la venue du Sauveur, le plus grand nombre des juifs pensaient que les âmes des justes rentraient, après la mort, en possession du paradis terrestre. On y vivait dans un état d’innocence que le péché ne devait pas altérer : des troupeaux, de vertes prairies, de limpides ruisseaux , un printemps continuel, telles étaient les images sous les- quelles on aimait à se représenter le séjour des saints. Quant à la situation de ce paradis, elle était incertaine. L'ange qui chassa de l'Eden nos premiers parents, en défend l’en- trée aux vivants avec une épée flamboyante. Les champs- élysées des grecs et des romains différent peu, à certains
* Felix cujus meditatio in conspectu Domini est semper: quid enim grave ill poterit videri, qui semper mente tractal , qudd non sint condignæ passiones hujus temporis ad futuram gloriam ! quid concupiscere in hoc seculo nequam cujus oculus semper videt bona Domini in terrà viventium.
** O0 domus luminosa et speciosa ! dilexi decorem tuum et locum habitationis gloriæ Domini mei fabricatoris et possessoris tui; tibi suspiret pereginatio mea...... @rravi sicut ovis perdita; sed in humeris pastoris mei, s{ructoris tui spero me reportari tibi.
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égards, du paradis des juifs. On y trouve encore quelque vestige de la tradition de l'Eden. L’humanité a pris naissance dans un jardin; c'est dans l’élysée, ce mystérieux jardin, que l'on allait chercher la paix, promise par les païens à ceux dont la vertu avait dirigé les actions pendant leur vie. Les poëtes de l'antiquité, Pindare, Homére ont décrit, sous les traits les plus séduisants, les champs-élysées. Virgile se complaît , au sixiéme chant de l’Enéide , dans la peinture de ces lieux charmants: « c'étaient de frais bocages , des bois délicieux, de fortunées demeures. Là, un air plus pur est répandu dans les campagnes et les revêt d'une lumiére de pourpre : ces beaux lieux ont aussi leur soleil.......... Enée portant ses regards à droite et à gauche, vit d’autres ombres qui goûtaient sur l'herbe la douceur des festins, et qui chan- taient en chœur l'hymne joyeux d’Apollon......; là, étaient ceux qui ont reçu des blessures en combattant pour leur patrie; les prêtres qui furent chastes tant qu'ils vécurent..... ; ceux qui ont embelli la vie en inventant les arts; ceux qui par leurs bienfaits ont mérité de vivre dans la mémoire des hommes. » Le monde invisible était pour la mythologie une vague image, et le monde que nous voyons leur offrait la réalité.
Le paganisme était impuissant à formuler la récom- pense du juste; ce qu'il en disait apparaît comme une étin- celle qui luit dans l'obscurité, jusqu'au moment où le flam- beau du christianisme vint projeter sa vive clarté sur tous les points du globe. Homère semble mettre les champs- élysées chez les cimmériens , Virgile les place dans l'Italie et Plutarque dans le soleil. Les scandinaves , les germains , les celtes établissaient leur paradis dans la sphère nébuleuse où se forment les orages. Les guerriers y apportaient leurs armes , leur coupe, leur orgueil et leur férocité ; on s'énivrait, on se querellait à table, et l’on quittait le festin pour la ba- taille. Ce qui distinguait ce paradis de la terre, c'est que la
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coupe d’hydromel était intarissable ; c’est que, la nuit venue et le combat fini, les guerriers mutilés ramassaient leurs membres et remontaient à cheval. Les américains se figurent que le bonheur de l’autre vie consiste à chasser le buffle et le daim, à avoir des fléches sûres, du gibier en quantité et des pieds infatigables. Quant aux vieilles religions de l'Asie, la plupart fondaient sur la métempsycose le système des peines et des récompenses futures. L'âme des méchants devait entrer dans les corps des bètes immondes ou des vils parias ; l'âme des bons animait les oiseaux , les animaux sacrés ou les corps des princes. Mais ce n'étaient 1à qu'autant de modes d’expiation qui, à la fin, devaient conduire l’âme perfectionnée dans un séjour immuable. Les uns fixaient ce séjour dans une des étoiles du firmament, et les autres dans l'éther. Selon certains auteurs, Mahomet a présenté aux sectateurs du Coran un paradis sans mystères, même ici-bas. Il a tout accordé aux sens , tout matérialisé , et, par conséquent, tout profané. Il admet sept paradis dont il donne une description détaillée. Dans chacun de ces paradis, et surtout dans le dernier, l’homme se livre aux voluptés sensuelles. Voilà la perspective offerte à l'humanité intelligente : voilà la récompense de la pudeur, de la sobriété, de l’héroïsme. Mais s’il est évident qu'un tel paradis doit sourire à des âmes corrompues , com— ment un honnête musulman peut-il entretenir sa fille du ciel,
sans craindre de blesser son innocence ? Cependant, d'après
le baron Guiraud , ce serait une erreur de penser, comme on le fait généralement, que Mahomet ne promet rien à ses élus au-delà des joies sensuelles du septième paradis; des biens d'un ordre plus élevé, des voluptés en quelque sorte mentales , sont promises à ceux d’entre les musulmans que leurs vertus ou leur savoir auront maintenus dans un rang trés-éminent. | . Cet exposé nous prouve que l'idée du paradis, prise
en elle-même, se retrouve en tous lieux et dans tous .
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les siécles. Considérée indépendamment des formes dont on l'a revêtue , elle est évidemment la premiére et la dernière expression de la moralité humaine. Elle implique de toute nécessité la croyance en Dieu, la notion du bien et du mal, la liberté, l’immortalité de l’âme. En aucun temps, en aucun pays, on n'a pu concevoir la vie de l’homme, si ce n'est comme une vie de passage qui, aprés la mort physique, se continue dans d’autres conditions. C'est après cette vie d’é- preuves qu’il sera récompensé ou puni selon l'usage qu'il aura fait de son intelligence et de ses forces physiques. Jamais nation civilisée ou sauvage ne s'est arrêtée au systéme impie de l’anéantissement de l’homme après sa mort. S'il n'avait en perspective que le tombeau, de quelles vertus , de quels sacrifices l’homme serait-il capable? Quel serait le motif de son dévouement pour sa patrie? Pour qu’il s'immole lui, être libre et intelligent, au bonheur de ses semblables, il lui faut absolument la croyance à une vie future, laquelle se lie intimement dans le cœur à la notion du juste et de l’injuste ; mais l’étroite solidarité de ces idées premiéres fait que l’une ne peut s’altérer sans que l'autre ne s’en ressente. Que les passions corrompent la justice, l’idée de Dieu s’'obscurcit ; que l’orgueil ternisse l’idée pure de Dieu, la justice en souf- frira. Or , il est incontestable que les idées dont nous parlons ont été corrompues sur la face du globe. Sans cela , on ne concevrait point que l'identité des croyances fondamentales n'’eût pas produit une religion unique, une même morale, un seul et même paradis. Comme le disait Pascal, la diversité des cultes démontre la nécessité du culte et, en outre, qu'il y a un culte qui est le vrai. On en peut dire autant des nombreuses notions qu’on se forme du paradis. La religion véritable nous donnera, sans doute, la juste notion du pa- radis, et réciproquement, il est permis de juger par la seule connaissance que nous offre du paradis une doctrme religieuse, si cette doctrine est vraie ou fausse. En examinant la variété
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des symboles sous lesquels on représente la vie future, on voit clairement que chacun de ces symboles correspond à l'état moral d'une nation, et qu'il marque, selon qu'il est plus ou moins altéré, le degré de corruption dans lequel cette nation est tombée. Le paradis catholique , au contraire, réunit tout ce qu'il y a d’essentiellement bon, de saint, de juste, de divin sous les images grossières des autres cultes ; mais ce que les passions humaines, ce qu'une raison téné- breuse a mélé d’impur, d’exceptionnel, de contradictoire à la notion du paradis , l’église catholique, divinement inspirée,
l'a retranché. |
IV.
Touchant la béatitude surnaturelle qui consiste dans la vision intuitive, dans la jouissance et la possession de Dieu même, qui est le principe et la source de toute perfection, de toute félicité, nous allons établir quatre propositions qui sont autant d'articles de foi :
Première proposition: Les bienheureux dans le ciel voient intuitivement l'essence de Dieu d’une maniére sur- naturelle.
Notre Seigneur dit expressément dans S. Mathieu, c. 18, v. 10: « Leurs anges dans le ciel voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux. » Il est certain, par ce texte, que les anges des petits enfants voient Dieu dans le ciel; cela est également vrai pour les hommes glorifiés, car Jésus — Christ affirme d'eux « qu'ils seront comme les . anges de Dieu dans le ciel (S. Mat., c. 22, v. 30). » Ils verront donc eux-mêmes la face de Dieu. Cela est pareille-— ment confirmé par l’apôtre, lorsqu'il dit (4. cor, c. 13, v. 12): & Nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous le ver- rons face à face. >» Il est évident que S. Paul parle de la
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connaissance parfaite, puisqu'il l'oppose à celle qui est donnée comme par des images obscures. S. Jean enseigne aussi évi- demment ce dogme (1 épe, c. 3, v. 2): « Quand Dieu viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » Or, si dans l’état de gloire, nous ne voyons pas clairement l'essence divine, nous ne verrons pas Dieu tel qu'il est. Cette vérité a été clairement professée par les S. Pères. S. Augustin dit : « L'homme ne peut con- templer Dieu; tandis que les anges les moins glorieux dans l'Eglise voient toujours Dieu: maintenant nous ne le voyons que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais nous le verrons face à face, quand dépouillant notre nature mortelle, nous aurons revêtu celle des anges*. » Et S. Cy- prien : « C'est une gloire insigne et une joie ineffable que vous soyez admis à contempler Dieu **. > Le Concile de Flo- rence à défini cet article de foi dans la sixiéme session, et a statué que « les âmes parfaitement pures dans le ciel verront clairement le Dieu un et trois tel qu'il est. » Ce n’est que dans l’autre vie que nous concevrons la félicité suprême, parce que notre âme étant alors dans un autre état éprouvera des mouve- ments tout autres que ceux dont elle est capable durant cette vie, à cause de la dépendance où elle est des impressions du corps auquel elle est unie. Ainsi elle se portera vers l'objet de son amour avec une extrême ardeur, et en jouira avec uue joie ineffable. David en a tracé une image d’une force admirable, lorsque, parlant des bienheureux, il dit (ps. 35, v. 9, 40): « Ils seront énivrés de l’abondance de votre maison: vous les abreuverez du torrent de vos dé-
* Homo Dei faciem videre non potest. Angeli autem etiam mini- morum in ecclesià semper vident faciem Dei : et nunc in speculo vidimus et in ænigmate, tunc autem facie ad faciem, quando de hominibus in angelos profecerimus.
* Quæ erit gloria..... et quanta lætitia admitti ut Deum videas
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lices. » Ce saint roi avait les idées les plus sublimes de cette félicité éternelle des saints. La pensée seule l’en jetait dans de ravissants transports: « Je vois, mon Dieu, que vous avez honoré d'une façon particulière vos amis: leur gmpire s'est affermi extrémement (ps. 138, v. 16). >» Heu- reux ceux qui habitent dans votre maison! Ils vous loueront _ à jamais (ps. 83, v. 5)! > — Le premier objet de la vision intuitive, c'est l'essence divine, ses attributs, ses relations, mais par un même acte de l’entendement qui ne les voit pas séparés les uns des autres. Le deuxième objet de cette vision intuitive, ce sont les créatures que les élus voient en Dieu, c'est-à-dire dans son essence comme dans un miroir : ces créatures sont celles ou qui les invoquent, ou qui ont eu des rapports à leur état, lorsqu'elles étaient sur la terre. Les bienheureux les voient dans le verbe, disent les théolo— giens ; car Je verbe est le miroir de toutes choses, et c'est dans le verbe que le Père a les idées de toutes les choses, soit les existantes, soit les possibles. Ainsi les élus s'intéres- sent aux affaires humaines , aux joies et aux peines de leurs parents et de leurs amis. Ils veillent sur eux, les assistent dans leurs épreuves, portent nos priéres et nos soupirs aux pieds du Très-Haut. La mort ne rompt que les liens du péché ; elle respecte ceux que la charité a formés. Les sectes protestantes ont enlevé au paradis une de ses joies les plus douces, en détruisant la chaîne qui unit les bienheureux à leurs frères souffrants. Bien plus, leur paradis n'appartient qu’à des êtres nécessairement prédestinés. Dans ce système théologique , toutes nos œuvres sont stériles ; et le sang du Rédempteur a coulé en vain. Leur doctrine est fataliste , sombre et immorale, puisque leur paradis n’a pas été pré- paré pour tous, tandis que le ciel des catholiques a été ouvert à tous les hommes par les mérites de Jésus-Christ. Deuxième proposition: Les bienheureux ne compren- nent pas et ne peuvent comprendre Dieu surnaturellement.
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Jérémie dit à Dieu (c. 32, v. 19): « Vous êtes grand dans vos conseils et incompréhensible dans vos pensées *. » Saint Paul s’écrie (ép. aux rom., c. 11, v. 33): « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables! » Saint Irénée dit : « Le cœur ne peut mesurer Dieu et l'esprit ne peut le comprendre **. « Et saint Augustin : « Avoir la moindre intelligence de Dieu, c'est mériter une grande louange ; le comprendre est entiérement impossible. » Et le concile de Latran a donné cette décision de foi: « Nous croyons que Dieu est incompréhensible. >» Les élus ne com- prennent point l'essence divine, c'est-à-dire que leur enten- dement ne peut embrasser toute l'étendue de cette essence, parce qu’elle est infinie , tandis que leur entendement ne l’est point. |
Troisième proposition: Les bienheureux, selon la diver- sité de leurs mérites, verront Dieu d’une maniëre inégale. Notre-Seigneur dit : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon pére (saint Jean, c. 14, v. 2). » Et saint Paul dé- clare que « le soleil a son éclat, la lune a le sien; et entre les étoiles l'une est plus brillante que l’autre. Il en est de même de la résurrection des morts (1. ép. aux Cor., c. 15, v. 41, 42). » Tertulien réfutant les gnostiques, leur adresse ces paroles : « Comment expliquerez-vous qu'il y a plusieurs demeures auprès du Père, si ce n’est pour la variété des mérites? comment une étoile différera-t-elle d'une autre étoile en gloire, si ce n'est par la diversité des rayons ***? » Le grand apôtre enseigne que « chacun recevra
* Immensurabilis in corde Deus et incomprehensibilis in animo. ** Attingere aliquantüm mente Deum magna laudatio est com- prehendere omnino impossibile. ** Quomodd multæ mansiones apud Patrem capias, si non pro _ varieta meritorum ? Quomodà et stella à stellà distabit in glorià nisi prodiversitate radiorum *? » 9:
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son salaire, selon son travail (1° cor., c. 3, v. 8). Et saint Polycarpe disait : « Mes récompenses seront d'autant plus glorieuses que mes tourments auront été plus cruels *. » Cet article de foi a été confirmé par deux conciles œcu— méniques.
Le concile de Florence a statué que les âmes des saints... dans le ciel voient clairement Dieu même, l’une plus par- faitement que l'autre, selon la diversité des mérites. Cette définition se trouve encore approuvée dans la sixième session du concile de Trente. Cette vérité est encore confirmée par deux raisons théologiques : « Notre Sauveur, dit S. Ephrem, nous apprénd dans son Evangile qu'il y a plusieurs demeures dans le royaume de son pére. Par ces demeures, il faut entendre les degrés d'intelligence et de bonheur nb sont appelés les élus. De même qu'ici bas, dit S. Ephrem, chacun jouit des rayons du soleil en Deoportion de la bonté de ses yeux, de même, dans le royaume des cieux, tous les saints participent, il est vrai, au même bonheur, mais, toutefois, chacun d'eux reçoit, d'une manière plus ou moins parfaite , les rayons de ce soleil de l'éternité, et la joie qu'ils éprouvent est proportionnée au degré de leurs mérites. »
La vie éternelle est proposée comme une récompense et comme une couronne qui est donnée par justice, selon ces paroles de l'apôtre: & Il ne me reste qu'à attendre la cou- ronne de justice qui m'est réservée et que le seigneur, comme un juste juge, me donnera en ce grand jour (2° à Timot., ch. #, v. 8). » Ainsi la récompense sera inégale d'aprés la différence des mérites. Ainsi l'inégalité de la rétribution accomplit la grande œuvre de la justice de Dieu, dont le propre est de rendre à chacun selon ses œuvres. Par consé- quent, elle doit nous exciter à suivre avec ferveur la voie des vertus ; à supporter, avec résignation , les adversités, et
* Quantè graviora pertulero , tant præmia majora percipiam.
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à entreprendre. pour la gloire de Dieu et notre sanctification, des actions grandes et difficiles. Car, nous sommes tellement constitués, que si nous ne sommes stimulés pour atteindre un noble but, nous perdons bientôt courage ou, du moins, nous ralentissons notre ardeur. Leibnitz, en faisant observer qu’il y a pour les saints divers degrés dans la vue de Dieu, ajoute : « C’est ainsi que lorsque plusieurs personnes cohtem- plént un seul et même objet , les unes le voient avec des yeux plus clairvoyans, les autres avec des yeux un peu troubles; les unes le voient de plus près et les autres de plus loin. Toutes aperçoivent la même image, mais la vue de l’une est, quant à la lumière et aux rayons qui pénètrent dans les yeux, distincte de la vue d'une autre.
Quatrième proposition: Les âmes des justes auxquelles il ne reste rien à expier, sans attendre la résurrection des corps ni le jour du jugement dernier, en même temps qu'elles quittent le corps, jouissent de la vision béatifique.
S. Paul dit (2° Cor., c.5, v. 6-8) : « Nous savons que pen- dant que nous habitons dans ce corps, nous cheminons hors du seigneur : car nous ne marchons vers lui que par la foi, et nous ne le voyons pas encore à découvert; dans cette con— fiance, nous aimons mieux être séparés de ce corps, pour jouir de la vue du Seigneur. » D'où l'on conclut que, séparé du corps, on est admis à la jouissance de sa divine présence. Dans l'épitre aux Philippiens (ch. 1. v. 23), l'apôtre dit : » Je me sens pressé des deux côtés : j'ai, d'une part, un ardent désir d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ, ce qui est, sans comparaison, le meilleur ; mais de laure: il est plus avantageux pour vous que je a en cette es » S. Paul était donc certain qu'il serait avec le Christ immédiatement après la dissolution de son corps. S. Grégoire de Naziance, dans l’oraison fu- nébre de S' Gorgonie, enseigne qu’elle a obtenu la contem- plation pure de la gloire de la suprême Trinité. S. Cyprien
68 LETTRES.
affirme d’un martyr qu'il est dans le ciel : et sancta trinitati assistere. Les grecs , dans les ménologes , déclarent que les saints qui ont quitté la vie sont dans le ciel eh présence de la Trinité. Cet article de foi se trouve défini par le concile de Florence dans le décret d'union: « Nous croyons... que les âmes de ceux qui, aprés avoir reçu le baptême ne se rendent coupables d'aucune faute; et même que celles qui aprés avoir contracté la souillure du péché, se sont purifiées , seront promptement reçues au ciel, et verront clairement Dieu un et trois, tel qu'il est *. >» Plusieurs, dit Leibnitz, ont regardé comme une question difficile de savoir si les âmes parviennent avant le jour du jugement à la béatitude ou au malheur éternel. Il est reconnu que Jean XXII pen- chait vers le sentiment contraire...; et, en effet, il semble qu’en admettant l’affirmative, le jugement dont le Christ nous a décrit la forme serait superflu et que ceux qui doivent être condamnés ne pourraient rien alléguer qui leur servit pour ainsi dire d’excuse, si la chose était déjà faite sans espoir de changement. Mais on voit que le Christ exprime sa pensée d’une manière humaine , et que dans ce jour suprême, lorsque les corps se réuniront aux âmes, la conscience de chacun parlera pour l’accusateur , pour le juge et en même temps pour le coupable. J'avoue cependant que pour terminer celte controverse... 1l faut ajouter aux pas-— sages de l'Écriture , la tradition de l'Eglise : « Au xvi° siécle, dit Bergier, Luther et Calvin ont soutenu que les saints ne doivent jouir de la gloire éternelle qu'après la résurrection et le jugement dernier ; que jusqu'alors leurs âmes sont, à la vérité, dans un état de repos , mais ne peuvent étre censées heureuses qu’en espérance. Gelte erreur a êté condamnée
* Credimus illorum animas qui post baptistum susceptum nullam omnino maculam incurrunt, eas etiam animas quæ post contrac- tam peccati maculam.... sunt purgatæ, in cœlum mox recipi..…. et intueri clare ipsum Deum trinum et unum sicuti est.
LETTRES. 69
par le deuxième concile général de Lyon de l'an 1274, et par celui de Florence en 1439, dans le décret touchant la réunion des grecs à l’église romaine. »
‘ÆExposons actuellement la théorie de la vision intuitive, proposée par M. Pradié. Le zoo-magnétisme, en lui sup- posant quelque fondement, par la communion intellectuelle qui s'opère entre les personnes soumises à son influence, nous donne une idée précise de la communion qui s’établira dans le ciel entre l’homme et Dieu par le moyen du verbe fait chair. S'il est vrai, en effet, qu’ s'établit entre les personnes magnélisées des rapports tels que l’une voit dans l'âme de l’autre ce qui s’y passe, de manière à reproduire toutes ses impressions, il ne faudrait plus s'étonner si l'Église, interprète des livres saints, nous enseigne que nous serons unis à Jésus-Christ dans le ciel, non pas d’une maniére seulement mystique, mais bien réelle; ce divin sauveur sera notre chef, nous serons ses membres , et nous verrons en lui l'être divin comme il le voit lui-même, c'est-à-dire d'une vue intuitive, ainsi qu'il convient à l'union hyposta- tique de la nature divine et de la nature humaine. Il serait beau de voir tourner à la confusion des ennemis de la re- ligion le zoo -magnétisme, et de voir s'établir par leurs efforts, conçus dans un autre but, l'explication, sinon la compréhension de ce magnétisme divin dont le SE tisme ne serait qu'une grossière image !
V.
Le prophète Isaïe et l’apôtre saint Jean nous ont laissé des descriptions magnifiques du paradis, des beautés qu’on y admire, des richesses qu'il renferme et du bonheur inef- fable dont jouissent ceux qui l'habitent. Mais, d’après saint Paul, la félicité des élus. est au-dessus de toutes nos. pensées et de toutes nos expressions ; elle ne peut être
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conçue que par ceux qui la possédent. II ne faut donc pas s'étonner si tous les poëtes chrétiens qui ont donné une peinture du ciel, ont échoué dans leur entreprise, tandis qu'ils ont réussi dans la description de l'enfer. Les plus célébres tableaux des délices que les justes goütent dans la vie future ont été composés par le Tasse, Milton, le Dante, Fénélon , L. Racine, Soumet , Châteaubriand et S. Ephrem.
Nous allons citer quelques passages des peintures du ciel par L. Racine, Soumet, S. Ephrem et Châteaubriand :
Ah! qui me donnera l'aile de la colombe?
Loin de ce lieu d'horreur, de ce gouffre de maux, J'irais, je volerais dans le sein du repos.
C'est là qu'une éternelle et douce violence Nécessite des saints l’heureuse obéissance.
C'est là que de son joug le cœur est enchanté, C'est là que sans regret l'on perd sa liberté.
Là de ce corps impur les âmes délivrées,
Et riches de ces biens que l'œil ne saurait voir,
Ne demandent plus rien, n'ont plus rien à vouloir. De ce royaume heureux, Dieu bannit les alarmes, Et des yeux de ses saints daigne essuyer les larmes. C'est là qu'on n'entend plus ni plaintes ni soupirs : Le cœur n'a plus alors ni craintes ni désirs.
8 +. ee ee ee ee ee + + ee ee ee o D 9 + + + + + e
Que mon exil est long! Ô tranquille cité! Sainte Jérusalem! 6 chère éternité! Quand irai-je au torrent de la volupté pure Boire l'heureux oubli des peines que j'endure, Quand irai-je goûter ton adorable paix !
Quand verrai-je ce jour qui ne finit jamais.
(L. RACINE.)
Sous le regard divin l'horizon des élus, Eden resplendissant qu'Eve ne perdra plus, Ouvre sa blanche tête à l'âme en paix ravie, L'amour et non le temps y mesure la vie ;
LETTRES. 71
De ce doux nom d'amour Dieu daïgne s'y nommer;
Car l'absence du ciel, c'est de ne point aimer.
Le cœur des séraphins que cet amour embrase,
Devient lui-même un ciel d'innocence et d'extase ;
Tels qu'un souffle enchanté, s’exhalent tous leurs jours, Et s'ils sont immortels, c'est qu'ils aiment toujours.
Jardin où nulle fleur du désir ne se fane : Où comme un saint trésor, la vie est au Seigneur ; Où s'éteint l'espérance à l'éclat du bonheur !
(A. SOUMET.)
« Où Dieu sera-t-il notre repos, dit S. Ephrem, si ce n'est dans la céleste Jérusalem, dans cette cité de bonheur, qui retentit sans cesse d’acclamations d’allégresse , où tous les jours sont des jours de fêtes , où des trésors infinis de science et de sagesse sont sans cesse révélés aux élus de Dieu, où règne une joie incomparable , un repos immuable, une joie sans fin , des chants éternels de reconnaissance et d'amour ? Là, toutes les intelligences n'ont qu'un objet à contempler et cet objet: c'est Dieu. L'homme y trouve des richesses infinies , un royaume sans fin, des abimes de miséricordes , des millions d'anges, les trônes des apôtres, les siéges des prophètes, les sceptres des patriarches, les couronnes des martyrs. »
« Au centre des mondes créés, au milieu des astres innom- brables, dit Chateaubriand... flotte cette immense cité de Dieu dont la langue d'un mortel ne saurait raconter les merveilles. L’éternel en posa lui-mème les douze fondements, et l’environna de cette muraille de jaspe que le disciple bien-aimé vit mesurer par l'ange avec une toise d’or. Revêtue de la gloire du Trés-Haut, l’invisible Jérusalem est parée comme une épouse pour son époux... Un fleuve découle du trône du Tout-Puissant ; il arrose le céleste Eden, et roule dans ses flots l'amour pur et la sapience de Dieu. L’onde
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mystérieuse se partage en divers canaux qui font croître avec la vigne immortelle, le lis semblable à l'épouse. L'arbre de vie s'élève sur la colline de l'encens; un peu plus loin l'arbre de science étend de toutes parts ses racines profondes et ses rameaux innombrables. il porte caché, sous son feuillage d'or les secrets de la divinité, les lois occultes de la nature, les réalités morales et intellectuelles, les immuables principes du bien et du mal. Ces connaissances qui nous énivrent font la nourriture des élus... aucun soleil ne se lève, aucun soleil ne se couche dans les lieux où rien ne finit, où rien ne commence; mais une clarté ineffable, descendant de toutes parts comme une tendre rosée, entre— tient le jour éternel de la délectable éternité. C'est dans les parvis de la cité sainte, et dans les champs qui l’environnent que sont à la fois réunis ou partagés les chœurs des chérubins et des séraphins, des anges et des archanges, des trônes et des dominations : tous sont les ministres des ouvrages et des volontés de l'Eternel... Un nombre infini d’entr'eux fut créé avec l’homme pour soutenir ses vertus, diriger ses passions et le défendre contre les attaques de l'enfer. Eà sont aussi rassemblés à jamais les mortels qui ont pratiqué la vertu sur la terre; les patriarches, assis sous les palmiers d’or; les prophètes au front étincelant de deux rayons de lumière ; les apôtres, portant sur leur cœur les saints évan- giles ; les docteurs, tenant à la main une palme immortelle ; les solitaires, retirés dans les grottes célestes ; les martyrs vêtus de robes éclatantes ; les vierges couronnées de roses d'Eden ; les veuves ornées de longs voiles... Est-ce l’homme infirme et malheureux qui pourrait parler des félicités su- prèmes ?.… Lorsque l'âme du chrétien fidéle abandonne son corps, comme un pilote expérimenté quitte le fragile vaisseau que l'océan engloutit, elle seule connaît la vraie béatitude. Le souverain bien des élus est de savoir que ce bien sans mesure sera sans terme; ils sont incessamment dans l’état
LETTRES. …. 735
délicieux d'un mortel qui vient de faire une action vertueuse ou héroïque, d'un génie sublime qui enfante une grande pensée, d’un homme qui sent les transports d'un amour légitime ou les charmes d’une amitié longtemps éprouvée par le malheur. Ainsi les nobles passions ne sont point éteintes dans le cœur des justes, mais seulement purifiées : les frères, les époux, les amis continuent de s'aimer; et ces attachements, qui vivent et se concentrent dans le sein de la divinité. même, prennent quelque chose de la grandeur et de l'éternité de Dieu... Les prédestinés, pour mieux glorifier le roi des rois, parcourent son merveilleux ouvrage. La couleur des cieux, la disposition et la grandeur des sphères , qui varient selon les mouvements et les distances, sont pour les esprits bienheureux une source inépuisable d'admiration. Ïls aiment à connaître les lois qui font rouler avec tant de légéreté ces corps pesants dans l'éther fluide; .… tous ces flambeaux errants de la maison de l’homme attirent les méditations des élus; enfin (ils) voient jusqu'à ces mondes dont nos étoiles sont les soleils... Dieu, de qui s'écoule une création non interrompue, ne laisse point reposer leur curiosité sainte, soit qu'aux bords les plus reculés de l'espace, il brise un antique univers, soit que, suivi de l'armée des anges, il porte l’ordre et la beauté jusque dans le sein du cahos. Mais l’objet le plus étonnant offert à la contemplation des saints, c'est l'homme. Ils s'intéressent encore à nos peines et à nos plaisirs ; ils écoutent nos vœux ; ils prient pour nous; ils sont nos patrons et nos conseils. C'est dans cette extase d'admiration et d'amour... que les élus répétent ce cri de trois fois saint, qui ravit éternellement les cieux. Le roi prophéte règle la mélodie divine; Asaph, qui soupira les douleurs de David, conduit les instruments animés par le souffle; et les fils de Coré gouvernent les harpes, les lyres et les psaltérions qui frémissent sous la main des anges. Les six jours de la création, le repos du
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7h LETTRES.
Seigneur, les fêtes de l’ancienne et de la nouvelle loi, sont célébrés tour à tour dans les royaumes incorruptibles..… Les concerts de la Jérusalem céleste retentissent surtout au ta- bernacle trés-pur qu'habite dans la cité de Dieu l’adorable mére du Sauveur. Environnée du chœur des veuves, des femmes fortes et des viergés sans tache, Marie est assise sur un trône de candeur. Tous les soupirs de la terre montent vers ce trône par des routes secrètes; la consolatrice des affligés entend le cri de nos miséres les plus cachées, elle porte aux pieds de son fils, sur l’autel des parfums, l'offrande de nos pleurs ; et, afin de rendre l’holocauste plus efficace, elle y méle quelques-unes de ses larmes... Les esprits gar- diens des hommes viennent sans cesse implorer pour leurs amis mortels, la reine des miséricordes. Les doux Séraphins de la grâce et de la charité la servent à genoux... Des tabernacles de Marie, on passe au sanctuaire du Sauveur des hommes : c'est là que le Fils conserve par ses regards les mondes que le Pére a créés : il est assis à une table mystique. Vingt-quatre vieillards, vêtus de robes blanches et portant des couronnes d'or, sont placés sur des trônes à ses côtés. Près de lui est son char vivant, dont les roues lancent des foudres et des éclairs... Par delà le sanctuaire _ du Verbe, s'étendent sans fin des espaces de feu et de lumière. Le Père habite au fond de ces abimes de vie. Principe de tout ce qui fut, est, et sera, le passé , le pré- sent et l'avenir se confondent en lui. Là sont cachées les sources des vérités incompréhensibles au ciel même: la li- berté de l'homme, et la prescience de Dieu ; l'être qui peut tomber dans le néant, et le néant qui peut devenir l'être; là surtout s’accomplit, loin de l’œil des anges, le mystère de la Trinité. L'Esprit qui remonte et descend sans cesse du Fils au Pére et du Père au Fils, s’unit avec eux dans ces profondeurs impénétrables. »
Nous pouvons analyser en ces termes la description poé—
LETTRES. 75 tique de l’auteur des Martyrs. Le paradis est un lieu de paix et de rafraîchissement, un séjour d’innocence et dé félicité. On y jouira de la vue intuitive de Dieu, et de la présence de la reine aimable des cieux; on y vivra en société avec les anges, avec les patriarches, avec les pro- phètes, avec les apôtres, avec les martyrs, avec les doc- teurs, avec les vierges; en un mot, on s'y trouvera réuni aux justes de toutes les nations et de tous les siècles. Les mystères que renferme la création et qui confondent ici-bas notre intelligence nous seront alors dévoilés ; nous y verrons clairement ce que nous n’'apercevons maintenant qu’à travers des nuages; nous saurons ce que l'univers est en lui-même; ce qu'est en elle-même chaque chose, les étoiles, les fleurs, les animaux, les hommes, les éléments, les forces, la subs- tance, le temps, l'éternité, le fini, l'infini, leurs différences, leurs harmonies, tous les abimes de l'univers, toutes ses obscurités et toutes ses énigmes. Nous contemplerons alors dans d'ineffables ravissements la vérité, la justice, la beauté à sa source commune. Étres créés, êtres distincts, nous gar- derons le souvenir de notre existence terrestre et le sentiment de notre personnalité ; et cependant nous serons immortels, non égaux, mais semblables à Dieu, miraculeusement as- sociés à son ineffable sagesse, exempts de doutes, d'incer- titudes, de misères, enveloppés de sa vive splendeur et vivant. de son ardent et inextinguible amour. « Îls ne se- ront plus cachés pour nous, dit l'abbé Poulle, ces êtres innombrables qui échappent à nos connaissances par leur éloignement ou par leur petitesse; les différentes parties qui composent le vaste ensemble de l'univers, leur structure, leurs rapports, leur harmonie : ils ne seront plus des énigmes pour nous, ces jeux surprenants, ces secrets profonds de la nature, ces ressorts admirables que la Providence emploie pour la conservation et la propagation de tous les êtres. » Mais cette vérité est présentée d’une manière neuve et plus
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sensible encore dans le passage suivant de Leïibnitz: « Tandis que nous sommes sur la terre, nous ne sommes pas dans notre véritable centre, et par conséquent dans notre véritable point de vue: nous voyons, il est vrai, les créatures et les œuvres admirables de Dieu, mais nous les voyons comme un homme placé entre les scènes d’un théâtre, peintes sui- vant les règles de l'optique. Cet homme voit des figures grossiéres , informes et incohérentes, ce qui ne l'empêche ‘pas cependant de reconnaitre l'art du peintre ou de l’archi- tecte. Ainsi dans notre position actuelle, quaïque nous ayons toujours lieu d'admirer les œuvres de Dieu, nous ne pouvons pourtant pas jouir du beau spectacle de leur ensemble; Il en serait autrement si nous étions transportés dans le soleil, ou plutôt dans le lieu qu'habitent les bienheureux : c’est là que, placés comme dans le véritable centre de tout l'univers, la vue de sa beauté nous remplira d'une jouissance ineffable. »
VI.
On sait que chez les grecs la demeure des dieux était située sur F'Olympe. Dans le poème des Jours, Hésiode a dit: « $s rénos abrès :æisûey éndurros is8A cr éralor (Si après cela le Dieu même qui habite l'Olympe nous accorde un heureux - succès) » chez les hindous on regarde le mont Mérou à la fois comme le centre de l’univers et le séjour des divinités. Ce fut ensuite dans la région des nuages, et même dans le ciel étoilé qu'on reporta la demeure des dieux. On lit dans l'Odys- sée, ch. 20°, cette invocation : « O Jupiter, toi qui règnes sur les hommes et les dieux, tu fais retentir ton tonnerre du haut du ciel étoilé dans la région qu'aucun nuage n'obscurcit. » Le Psalmiste établit au plus haut des cieux la demeure de la divinité: « Jéhova, dit-il, ps. 12, v. 12, a regardé du haut du ciel sur les enfants des hommes, afin de voir s’il s'en trouvera qui ait l'intelligence et qui cherche Dieu. »
LETTRES. 77
Et dans la prière que Salomon adresse au Seigneur, on trouve ces expressions : « Si les cieux et le ciel des cieux ne vous peuvent contenir, combien moins cette maison... Vous exaucerez du haut du ciel, cette demeure stable où est votre trône, les supplications et les priéres de votre peuple (3. Rois, c. 8, v. 27 et 49). > Les inscriptions de quelques tombeaux des premiers chrétiens portent ces mots: « Non mortuus est, sed vivit super astra. » Saint Thomas et plusieurs théo- logiens du moyen-âge placent dans l'empyrée le séjour des bienheureux : < Cœlum empyreum est locus beatorum (part. 19, 66). » Quelques auteurs plus curieux que sages se sont posé cette question : où est situé le paradis? et ils ont cru pouvoir la résoudre, en interprêtant à la lettre certains passages de la Bible, par exemple le v. 6 du ps. 18: « In sole posuit tabernaculum suum. (Il a placé sa tente dans le soleil). > Ils ont donc assigné le soleil pour demeure aux élus. C’est aussi dans cet astre que Plutarque plaçait les Champs-Elysées. Les vogoules prétendaient que leur dieu Taram habitait le soleil, et plusieurs peuples de l'Amérique mettaient également dans cet astre leurs divinités. D’autres écrivains ont assigné pour séjour aux bienheureux tout un sys- tôme stellaire caché à nos regards dans l'immensité des cieux. Saint Augustin, examipant ces paroles de Jésus-Christ au bon larron: « Aujourd'hui vous serez avec moi en paradis » (S. Luc, c. 25, v. 43), avoue qu'il n’est pas aisé de savoir où l'on est heureux. On ne conçoit pas mieux quel endroit saint Paul a voulu désigner par le troisiéme ciel dans sa deuxième épitre aux Corinthiens, c. 12, v. 4. Saint Augustin, faisant le panégyrique des SS. Pierre et Paul, s'exprime en ces termes: « Où sont ces saints ? là où l’on est heureux. Que cherchez-vous de plus ? vous ignorez le lieu, réfléchissezsurleur mérite, car partout où ils se trouvent ils régnent avec Dieu *. »
* Ubi sunt sanctiisti ? ibi ubi benè est, quid amplius quæris ? non nos locum , sed cogita meritum, ubicumque sunt cum Deo sunt.
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En effet, l'Eglise a toujours rejeté comme vaines et futiles les explications qu'on a proposées sur cette question : où est placé le séjour des élus ? Dieu est partout. et le paradis est partout où est Dieu : voilà la seule chose qu’on nous en- seigne, la seule qu’il nous importe de savoir. Le divin Sauveur nous dit, à la vérité, que notre récompense est dans le ciel ; mais dans ce passage, il ne faut pas, à l'exemple des anciens, regarder le ciel comme une voûte solide; il faut le concevoir d'aprés les progrès de l'astronomie mo- derne, comme un espace vide et immense dans lequel se meuvent une infinité de systèmes stellaires, c'est-à-dire de globes lumineux et opaques. Ainsi les chrétiens instruits qui n’attribuent pas une demeure spéciale à la divinité, peuvent- ils interprêter dans un sens allégorique les textes de l'écri- ture où entre le mot ciel. « Puisque l’âme de Jésus-Christ, dit Bergier, jouissait de la gloire céleste sur la terre, ce n'est pas le lieu qui fait le paradis; et puisque Dieu est partout , il peut aussi se montrer partout aux âmes saintes, et les rendre heureuses par la vue de sa gloire. Il paraît donc que le paradis est moins un lieu particulier qu'un chan- gement d'état, et qu’il ne faut pas s'arrêter aux illusions de l'imagination qui se figurent le séjour des esprits bienheu- reux comme un lieu habité par les corps. Dans le fond , peu nous importe de savoir si c'est un séjour particulier et déterminé par des limites, ou si c'est l’espace immense des cieux dans lequel Dieu se découvre aux saints, et fait leur bonheür. La foi nous enseigne qu'après la résurrection gé- nérale, les âmes des bienheureux seront réunies à leurs corps ; mais saint Paul nous apprend que les corps ressuscités et glorieux participeront à la nature des esprits (1"° ép. aux * Cor., c. 45, v. #4). Ils seront donc dans un état dont nous ne pouvons avoir aucune idée. Ce serait une nouvelle témérité de vouloir savoir si les bienheureux revêtus de leurs corps exerceront encore leurs facultés corporelles et les fonctions
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des sens, Jésus-Christ nous dit que, après la résurrec- tion, ils seront semblables aux anges de Dieu dans le ciel (S, Mat., c. 22, v. 30), ce qui exclut les plaisirs charnels. Saint Paul nous avertit que l'œil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu et que Je cœur de l’homme n'a point éprouvé ce que Dieu réserve à ceux qui l’aiment (1° cor., c. 2, v. 9). Il faut donc se résoudre à ignorer ce que Dieu n’a pas voulu nous apprendre... L'état des bienheureux est fait pour être un objet de foi et non de curiosité, pour exciter nos espérances’ et non pour nourrir des disputes. »
VIL.
Nous pouvons donc conclure que le dogme catholique est le triomphe de la religion, et que le Seigneur, après avoir éprouvé les justes par des tribulations. les récompensera d'une manière ineffable. Le paradis terrestre ne fut qu'une faible image du bonheur qui est réservé aux élus. Mais combien de nuages ne faudra-t-il pas dissiper avant de parvenir à ce sé- jour brillant et heureux aprés lequel nous soupirons ! Car il n'y a que ceux qui jouissent de la félicité suprême qui puis- sent en parler dignement ; il n’y a qu'eux qui pourraient nous dépeindre tous les ravissements, toutes les extases dont les saints sont énivrés. Faibles mortels, nous ne pouvons exprimer les joies du ciel que d’une maniére toute sensible. La vision intuitive , la possession de Dieu même, principe et source de toute perfection et de toute félicité, voilà ce qui fait les délices des bienheureux ; ils ont une connaissance par- faite de la vérité, ils jouissent du souverain bien avec la cer- titude de le posséder pendant toute l'éternité. O félicité ines- timable ! O récompense immortelle ! L'âme des élus, en quel- que sorte divinisée, se transfigure d'une maniére plus mer- veilleuse que ne le fit Elie sur le mont Thabor; car cette transfiguration n’est pas une situation passagère, mais un état
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permanent qui leur paraît tout nouveau. Ah! si les cieux venaient à s'ouvrir à nos regards , quelles merveilles n’y dé— couvririons-nous pas ? Nous reconnaitrions alors que tout.ce que l'Eglise nous dit du bonheur de la vie future n'a rien que de vrai, et que nous sommes des. insensés de perdre souvent de vue ce grand objet. Qu'elles doivent être admirables les beautés, qu'elles doivent être pures les joies de cette Jéru- salem céleste, de cette sainte cité de Dieu! N'est-ce pas cet Etre-Suprême qui a donné tant d'éclat aux étoiles, tant de majesté à la mer, et des ornements si variés à la terre ? N’est- ce pas le Trés-Haut qui rassemble en lui toutes les perfec- tions, toutes les vérités, toutes les merveilles, toutes les délices ? Quelque ravissante que soit la description de la Jé- rusalem céleste dans l’Apocalypse (ce livre où tout étonne l'intelligence et captive l'admiration), elle n’est qu'une lé- gère esquisse de Ja félicité des justes. Enivrés de la volupté la plus pure et la plus parfaite, ils contemplent les grandeurs de Dieu, brülent de son éternel amour, et s’abiment dans l’immensité de leur bonheur. C’est le désir de ce paradis cé- leste qui encourageait les martyrs au milieu de leurs tour- -ments, qui soutenait les serviteurs de Dieu au milieu de leurs tribulations, qui faisait triompher les vierges timides des séductions du monde, qui faisait dire au grand apôtre qu'un moment de travail procurait une gloire infinie. Qu’é- taient ces fameux Champs-Elysées dont les poëtes nous ont laissé de si belles peinturés ? de brillantes chiméres. Le sé- jour des élus n’a rien de terréstre ni de mortel. Il est une communication intime et continuelle des âmes avec Dieu, Ja plénitude de tous les biens spirituels, et la plus sublime élévation des pensées et des sentiments. Toutes les délices que le Seigneur peut prodiguer à ses créatures inondent les esprits et les cœurs des bienheureux ; ils ne voient plus, ils n'aiment plus que dans la Divinité, qui les pénètre de ses vives clartés et les conserve de son ardente charité. La re-
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ligion nous rappelle souvent ces consolantes vérités ; mais, dissipés et sensuels, nous ne soupirons ordinairement qu'a- prés les biens périssables et corruptibles ; nous estimons moins notre âme et le ciel que les richesses et les honneurs. Notre aveuglement est même parfois si déplorable que nous con- sentirions à ne jamais jouir de la vue de Dieu si on nous pro- mettait ici-bas une demeure stable et une fortune constante. Mais avons-nous jamais éprouyé dans cette vie une joie véritable ? une joie qui n'ait pas été traversée par des craintes réelles ou chimériques, affaiblie par des désirs qui n’ont pas été remplis, contrariée par des projets qu’on n’a pu exécuter et dont l'incertitude du succès nous inquiétait? Notre mal- beur vient de ce que, par une vie mondaine, nous sommes éloignés de Dieu, et que nous ne pouvons contempler les joies pures et ineffables dont il remplit les âmes de ses vrais disciples. Nous envisageons le bonheur de l'autre vie comme une simple spéculation que peut embellir une vive imagi- nation. Nous ne réfléchissons pas que lorsque cet univers aura disparu, nous nous trouverons dans la solitude la plus affreuse, si Dieu même ne vient remplir nos âmes de sa clarté et ne les enrichit de ses dons glorieux. Ne cherchons donc plus ici-bas des appuis humains, et tournons avec confiance nos regards vers Jésus, notre divin Pasteur : c'est lui seul qui, pour exaucer les priéres qui s'éléveront jusqu'à son trône, dissipera les vaines illusions de nos esprits, rompra les liens funestes qui attachent nos cœurs aux biens passagers de ce monde, nous prémunira contre les pièges de l’ennemi de notre salut, nous fortifiera dans nos bonnes résolutions par la divine Eucharistie, et nous mettra en possession des véritables biens dans la céleste patrie: « Jésus, bon pasteur, ayez pitié de nous, vous nous nourrissez , vous nous protégez , VOUS nous ferez contempler les vrais biens au séjour des vivants *. »
* Bone pastor... Jesu nostri miserere, tu nos pasce, nos tuere, tu nos bona fac videre in terrà viventium. »
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S. Augustin a renfermé en trois mots toute la subs- tance de la félicité que nous attendons : Voir Dieu , l'aimer, le louer « videbimus, amabimus , laudabimus. » Paraphrasons ces belles paroles.
Videbimus. — Dans l'état de la vision béatifique, Dieu est la lumière de l’âme et l'unique objet extérieur immé- diat de notre intelligence. Dans la vie présente, nous voyons tout comme dans un miroir , comme si le rayon de notre intelligence était réfléchi ou réfracté par les qualités corporelles : de là cette confusion de nos pensées. Mais dans la vie future notre connaissance sera distincte, nous boirons à la vraie source de la vérité et nous verrons Dieu face à face; car Dieu étant la dernière raison des choses, nous le verrons par la cause des causes, lorsque notre connaissance sera à priori, c'est-à-dire que toutes nos démonstrations n'auront plus besoin d’hypothèses et d'expériences, et que nous pourrons rendre raison même des vérités primitives. Nous serons semblables à Dieu, parce que ses infinies per- fections seront représentées en nous aussi parfaitement qu'elles peuvent l'être dans des créatures ; nous lui serons unis d’une manière admirable et inaccessible aux sens ; étant éclairés, environnés et pénétrés de sa vérité et de sa sainteté, nous contemplerons avec un ravissement incessant, nous admire- rons avec une félicité toujours nouvelle, la justice et la mi- séricorde du Très-Haut ; et nous pouvons déjà prendre une faible idée de la joie pure et de la douce extase que l'intui- tion de la vérité et de la beauté divine procureront aux bienheureux par celle qu'éprouve un savant, lorsqu'il a dé- couvert une vérité mathématique, par celle que goûte un cœur sensible, lorsqu'il voit pratiquer une action éclatante de générosité. Et si ce n'est là qu'un écoulement de cette source intarissable, et comme une goutte de ce fleuve immense qui nous charme et nous ravit, que sera-ce lorsque nous boirons à la source même de toutes les perfections et que
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nous serons plongés dans la. divinité comme dans un océan de lumière qui nous environnera de ses clartés, qui nous pénétrera de ses splendeurs ? c'est alors que toute l’activité de notre intelligence se concentrera sans partage vers cette suprême vérité, que nous la verrons toujours à découvert, tandis qu'ici-bas nous ne l'apercevons qu'au travers des nuages et que mille objets viennent encore en. détourner notre attention. |
Amabimus. — S. Augustin nous a laissé, dans le traité de la Trinité, un beau passage sur l'amour des élus: « Dans l'éternelle félicité .. dit cet illustre docteur, on aura sous les yeux tout ce que l'on aime; en ce lieu on verra tout ce qui est parfaits et le Dieu suprême y sera le souverain bien : il fera jouir de sa divine présence ceux qui l’aiment ; et ce qui mettra le comble à ce bonheur ce sera la certitude qu'il durera éternellement *. » La félicité céleste est un charme intérieur et spirituel qui se répand dans toutes les pensées et dans toutes les actions. Dans le ciel tout est félicité , car tout procède de l'amour. Dans le ciel on jouit non-seulement de ce qui peut satisfaire l'esprit et le cœur, mais on éprouve encore la jouissance de communiquer aux autres élus son propre bonheur. Il règne parmi tous les bienheureux une harmonie qui naît de l'effusion incessante des pensées et des affections. Toutes les joies ineffables du paradis ont pour principes l’amour de Dieu et l'amour du prochain. L'amour de Dieu est communicable, parce que c'est l'amour qu'il a pour lui-même et pour toutes les créatures dont il veut l'éternelle félicité ; tous ceux qui aiment Dieu ont le même amour communicatif, parce que le Seigneur, qui habite en eux, se communique de leur intérieur à l’intérieur de tous
* In æterna felicitate, quidquid amabitur, aderit; omne quod ibi erit, bonum crit, et summus Deus summum bonum erit atque ad fruendum amantibus præsto erit; et quod est omnino beatis- simum, ita semper fore certum erit.
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les élus. L'amour du prochain est communicatif de sa nature, parce qu’il est composé de l'amour de soi et du monde. Et dans cet amour céleste, les bienheuréux sont constamment alfectés les uns pour les autres des affections les plus téndres et des plus délicieuses émotions. Chacun d'eux est satisfait de sa portion de bonheur. On n’y verra jamais celui qui en éprouve moins regarder d'un œil d'envie celui qui en ressent davantage. Mais chacun , selon la gloire qui lui a été accor- dée, ressent au-dedans de lui une félicité qui comble pleine- ment toutes les facultés de son âme. Nous aimons naturellement la vérité et la justice ; mais ce ne sera qu'au sortir de cette vie que les erreurs disparaîtront , que les passions cesseront de nous aveugler, et que les justes verront clairement, et sans nuages, la vérité suprême, la justice essentielle. Is auront changé la vanité de la vie présente contre l’éternelle béatitude ; ils auront passé à travers les tempêtes de ce monde et auront heureusement atteint le port de l’immuable repos. ” L'âme alors sera transportée d'un amour dont l’ardeur sera proportionnée à la grandeur du souverain bien qu'elle pos- sédera; et comme élle ne se lassera point de le contempiler , parce qu’elle découvrira toujours en lui de nouvelles perfections qui la raviront , sans cesse elle renouvellera les actes de son amour puisque Dieu lui apparaîtra toujours de plus en plus aimable : aussi célte contemplation et cet amour feront-ils la joie et le bonheur des élus pendant toute l'éternité. Laudabimus. — « Heureux, dit le prophète-roi (ps. 83), ceux qui habitent dans votre maison, Seigneur, ils vous loue- ront dans les siècles des siècles. » Ce sera là, dit S. Augustin, l'unique affaire des élus, de ceux que S. Jean nous repré- sente devant le trône de l'Eternel comme autant de prêtres et de rois. Unis par les liens d’une ardente charité, ils s'exer- ceront mutuellement à glorifier Dieu et à lui témoigner leur reconnaissance pour les insignes bienfaits dont il les a comblés. Mais quel sera le sujet de-leurs cantiques ? Ils loueront Dieu
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des perfections infinies qu'ils verront en lui; elles les raviront, les combleront de joie et d’admiration. Car leurs louanges ne seront que l’effusion des transports de leurs cœurs, que l'ex- pression des ravissements de leurs esprits. Ils célébreront la majesté, la sainteté, la justice, la clémence, la puissance, la gloire du Très-Haut. Dans l'Apocalypse (ch. 7, v. 12), S. Jean nous rapporte le cantique des anges qui environnent le trône de l'Eternel, en disant: « Bénédiction, gloire, sagesse, actions de grâces, honneurs, puissance et force à notre Dieu dans les siécles des siècles ! » Les élus loueront le Seigneur des merveilles qu'il a opérées dans le monde visible et dans le monde spirituel. Ils le glorifieront du bienfait de la rédemption et de ces mystéres du Christ où éclatent la sagesse, la bonté et la charité de Dieu envers les hommes. Unis à des millions d’anges, les bienheureux confesseront que l'agneau qui a été mis à mort est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la bénédiction (ap., c. 5 , v. 12). « Et les mystérieux séraphins avec les vingt-quatre vieillards chanteront le can- tique nouveau, en disant: « Seigneur... vous avez été mis à mort, et par votre sang vous nous avez rachetés, pour Dieu, de toute tribu, de toute langue , de tout peuple et de toute ‘nation; vous nous avez rendus rois et prêtres de notre Dieu (ap., c. 5 v. 9,10). » Ils le loueront de toutes les grâces
qu'il leur a faites , de la gloire dont il les a couronnés eux et _ tous les élus. Ils admireront les voies par lesquelles Dieu les a conduits à la félicité suprême; chacun se réjouira du bon- heur immuable des autres élus comme du sien propre, et embrâsés d’une inextinguible charité, ils s’uniront tous pour chanter éternellement les miséricordes du Seigneur (p. 88 v.1).
86 LETTRES.
NOTES SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES.
MESSIEURS,
Il est tout naturel que les sciences et les lettres viennent rendre témoignage à la Bible, cette encyclopédie divine , afin de faire ressortir les beautés qu’elle renferme , afin de faire apprécier les trésors de piété qu’elle contient. Mais les in- terprètes nés des livres sacrés sont les saints docteurs de l'Eglise ; ce sont les conciles dans lesquels ils ont brillé, ce sont les ouvrages qu’ils ont écrits qu'il faut surtout consul- ter pour acquérir l'intelligence des vérités surnaturelles. Ce sera à ces sources vénérées que nous puiserons les plus beaux morceaux de notre travail; et si parmi les saints péres, on cite au premier rang saint Thomas d'Aquin, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Le dernier ouvrage composé par cet illustre docteur, est son commentaire sur le cantique : c'est comme son testament qu'il a laissé à l'Eglise catholique ; c'est comme le dernier chant du cygne angélique.
CHAPITRE I.
V. 14. L'épouse dit : « Le nard répandu sur moi a exhalé son parfum. » Voyez encore les v. 13 et 14 du ch. IV. Il est
LETTRES. 87
parlé dans ces passages , du nard, parfum célèbre chez les anciens. On demande à ce sujet : 4° de concilier deux textes de l'Evangile, l’un de S. Marc, l’autre de S. Jean, qui men- tionnent le nard ; 2° de quelle plante provient ce parfum , et quelles en sont les qualités ? « Il vint une femme, dit S. Marc (ch. 44, v.3), avec un vase d'albâtre plein d’un parfum de grand prix, composé de nard d'épi, et ayant rompu le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus*. » Lé texte grec porte : yuyà Exousa GAaGao Toy pou, rapd'ou TITTIN MS TOAUTEAOÙS, nardi pisticæ pretiosa, nardi spicatæ, dit Vatable, id est, fidelis , incorrupta et probata, hoc est, unguenti pretiosi é nardo pisticà. > Sous l’eblème de ce vase d'albâtre rempli d’un nard précieux était figurée la très-sainte Vierge : « Hæc (Virgo) pretiosum nardi pistici alabastrum, > a dit le saint évêque Proclus. On lit dans S. Jean (ch. 12,v. 3): « Marie prit une livre d'huile de parfum de vrai nàrd et le répandit sur les pieds de Jésus **. » La version syriaque porte dans les deux citations, nardi præcipuæ , id est eximiæ (dnardin rischoio). Le parfum répandu sur les pieds de Jésus est appelé dans S. Marc, selon la Vulgate, un parfum composé de nard d'épi (rardi spicati), et dans S. Jean il est nommé nardi pistici, nard pistique ; mais dans les textes grec et syriaque ce sont dans les deux endroits les mêmes termes 7rorsxûs , rischoio. Le traducteur de S. Marc l'a pris pour le nard d'épi qui est trés-précieux et le plus estimé, comme l'enseigne Pline ; mais dans S. Jean on a laissé le terme zro71x55 que le traducteur arabe a rendu par pur. On prétend qu'il faut l'expliquer ici comme dans S. Marc, et dire qu'il s’agit du nard d’épi. Si on demande quel rapport il existe entre le
* Venit mulier, habens alabastrum unguenti nardi spicati, et fracto alabastro effudit super caput ejus (Jesu).
** Maria accepit libram unguenti nardi pistici pretiosi, et unxit pedes Jesu.
H Mapia, AaBousa Airpar papor vapd'ou MITTIXNS MAUTIUOU..
38 __ LETTRES.
nard d’épi et le nard pistique, on répond que le mot pistique, dont la racine est xiorss, signifie ce qui est vrai, sincére, pur, ce qui n'a point été falsifié : tel était le nard d'épi, qui est le plus excellent de tous. — Le nard est un arbris- seau qui croit dans l'Inde : c’est la valeriana spica, dont la racine, dit Pline (Hist. nat., l. 42), est pesante et épaisse, mais courte et noire, fragile, bien que grasse; la feuille est petite et toüffue. Les sommets s’éparpillent en épis ; aussi vante-t-on dans le nard les épis et les feuilles. On falsifie le nard avec l'herbe appelée pseudo-nard (al/ium-victoralis) et avec l’écorce du souchet. Le nard sophistiqué se recon- naît à sa légèreté, à une saveur agréable et à sa couleur rousse. Le prix des épis du vrai nard est de 82 fr. la livre; celui des feuilles varie de 40 à 60 fr. la livre. Le nard dont parle ici Pline n’est point la plante qui porte ce nom dans les ouvrages de Linnée. Celle-ci est une plante monocoty- lédone de la famille des graminées, tandis que le vrai nard (la valeriana spica) est une plante dicotylédone monopétale de la famille des valerianées et de la triandrie-monogynée. Les Hindous appellent le spica nardi djatamansi, et les Arabes sombul, terme qui veut dire épi, parce qu’en effet la base de la tige est entourée de fibres qui ont l'apparence d’un épi. C'est une espèce de valériane qui croit à Ceylan et dans les contrées montagneuses de l’Inde, telles que le Népal et le Boutan. Il est maintenant certain, d'aprés les recherches de Jones, que le vrai nard de Pline et de Dioscoride n’est autre chose que la racine et le bas de la tige de cette plante. Le spica nardi a une odeur forte, une saveur amère, et passe pour un bon stomachique. Comme il est trés-odorant, con- tenant un principe résineux et une huile éthérée, on le mêle aux huiles et aux onguents pour leur donner une odeur plus suave. S. Bernard a dit sur le v. 11: « L'humilité de l'épouse est comme le nard qui répand son odeur : l'amour la consume, la piété l'anime, sa bonne réputation s’ex-
LETTRES. 89
hale *. » V. 12: « Mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe.... » V. 13: « Mon bien-aimé est pour moi comme une grappe de kopher cueillie dans les vignes d’Engaddi. » Le baume croissait à Engaddi, situé auprès de la mer Morte (voyez 2° livre des Paralip., ch. 20, v. 2). Le nom hébreu de ce lieu est Hen-Ghedi, qui veut dire fontaine du chevreau. Les interprètes conjecturent que le terme kopher (cyprus), était une plante aromatique cultivée à Engaddi. Ülric Moser pense que c'était le troëne d'Egypte, dont les fruits exhalent une odeur trés-agréable. Le troëne est un arbrisseau de la famille des jasminées et de la diandrie- monogynée, dont les fleurs blanches naissent en petites grappes à l'extrémité des rameaux ; à ces fleurs succèdent des baies molles et noires de la grosseur du geniévre. « Non est igitur , dit Vatable, hic cyprus, nomen insulæ in mari Me- diterraneo ut quidam putaverunt, in veteri interprete scri- bentes majesculam litteram tanquam proprio nomini. »
Voici en quels termes S. Thomas a expliqué les v. 12 et 13, l’un de la mort, l’autre de la résurrection du Sau- veur: V. 12: « La myrrhe est un aromate d'une trés- grande amertume : on s’en sert pour la sépulture des morts. » Ici il est fait allusion à la mort du Christ et à son séjour dans le tombeau. Le corps du Sauveur fut, en effet, détaché de la croix par Joseph et Nicodème qui l'embaumèrent avec de la myrrhe et de l'aloës, l'enveloppérent de linceuls et le déposérent dans un sépulcre. C’est pourquoi l'Eglise dit à (Jésus) son époux: « Mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe, car pour moi il a souffert la mort, pour moi il a été mis au tombeau. » — « Il reposera . sur mon sein... c'est-à-dire: son souvenir vivra éternel- lement dans mon cœur, jamais je n’oublierai ses immenses
* Sponsa humilitas tanquam uardus spargit odorem suum amore calens, devotione vigens, opinione redolens. 49
pi
90 LETTRES.
bienfaits ; dans l'infortune, comme dans la plus grande pros- périté, je me rappellerai celui qui a bien voulu donner sa vie pour moi *. >»
V. 13: « L’épouse parle de la résurrection de son époux et semble s'exprimer en ces termes: « Mon époux a enduré, pour moi, les angoisses de l'agonie, c'est pourquoi il a été pour moi comme un faisceau de myrrhe ; mais en sortant de la tombe victorieux de la mort, il est devenu pour moi comme une grappe de kopher , car sa résurrection m'a remplie de la plus douce joie. Le vin réjouit le cœur de l'homme, ce vin qu'on recueille dans les vignes d'Engaddi ; et de même que s'exhale au loin l’odeur d'un baume très- suave, ainsi, par la résurrection du Sauveur, le parfum de la foi s'est répandu jusqu'aux extrémités du monde **, »
CHAPITRE II.
V. 1. « Je suis, dit le bien-aimé , la fleur des champs et le lis des vallées. » Le texte original porte: € ego sum rosa sàron (hhabatstseleth haschscharon) et lilium convallium. »
* Myrrha species est aromatica nimiæ amaritudinis , quà mor- tuorum corpora condiuntur : hoc loco passio Christi et sepulcrum designatur. Nam depositum corpus Domini de cruce à Nicodemo et Josepho myrrha et aloë conditum est, etinvolutum lenteis cum aromatibus ac sepulturæ datum. Dicit ergo Ecclesia sponso ejus : dilectus meus fasciculus myrrhæ mihi factus est, quia propter me mortuus est et sepultus. Inter ubera mea commorabitur.…. id est in cordis mei memorià æternaliter habebitur , et nunquam tantorum beneficiorum ejus obliviscar ; sed sive in prosperis, sive in adver- sis sim, recordabor ejus qui me dilexit et mortuus est pro me...
** Loquitur sponsa de resurrectione sponsi sui, ac si diceret, sponsus meus qui mortis amaritudinem pro me gustavit et quasi fasciculus myrrhæ mihi fuit; sed in resurrectione suà factus est mihi botrus cypri, quandd me gaudio suæ resurrectionis lætificat. Vinum enim lætificat cor hominis, et hoc in vineis Engaddi quia ex resurrectione , quasi ex suavissimi balsami odore per universum mundum et fragrantiam suæ fidei latè dispersit.
LETTRES. 9
Säâron était une colline fertile dont il est question au 1. des Paral., c. 27, v. 29. On retrouve le mot hhabatstseleth, rose, dans Isaïe, ch. 35, v. À : « exultabit solitudo et florebit velut rosa. (La solitude sera dans l’allégresse et fleurira comme une rose). » Le paraphraste chaldéen a mis: « ego similis sum lilio viridi é paradiso voluptatis, et opera mea pulchra sunt sicut rosa quæ est in campo horti voluptatis. >» S. Paguin, Vatable, Buxtorf.... ont rendu khabatstseleth par rosa. Dans le livre de l'Ecclésiastique (ch. 24, v. 18), la sagesse s'est comparée à la rose de Jéricho , ds gura podlou y Iepéxa. Sirach au c. 50, v. 8, compare le grand-prêtre Simon à la rose du printemps et au lis qui croît sur le bord des eaux, ados poor êr npépaus ior, ds npiya ën &£0d'wy vJaros. On voit que ce passage est le parallèle de celui du v. 1 du ch. 2, du cantique où c'est Jésus-Christ, l'époux de l'Eglise qui parle. Le lis blanc est originaire de la Syrie et de la Pales- tine. Cette fleur est d’une courte durée, mais elle a un aspect imposant et majestueux. Elle efface en mérite et en beauté toutes les autres fleurs des parterres. La rose seule a droit _ de briller à côté du lis dont elle est la rivale. Ces deux fleurs semblent se disputer l'empire de Flore; toutes deux exhalent un doux parfum; toutes deux se distinguent éminemment de leurs compagnes, l’une par son éclatante blancheur, l’autre par le vif incarnat de ses pétales nombreux ; la pre- miére a plus de noblesse et de grandeur; la seconde plus de fraîcheur et de grâce. La rose est l'image de la beauté. comme le lis est le symbole de la pureté. Boisjolin a dit de ces deux fleurs :
Noble fils du soleil, le lis majestueux
Vers l'astre paternel dont il brave les feux, Elève avec orgueil sa tête souveraine :
Il est le roi des fleurs dont la rose est la reine.
L'une et l’autre fleur fondent ensemble leurs couleurs
92 | LETTRES.
pour composer le teint de la jeune vierge: c'est ce que Virgile, parlant de Lavinie, a exprimé dans ces vers char- mans :
. Mixta rubent ubi lilia multä Alba rosà, tales virgo dabat ore colores.
(ÉNEIDE, ch. 12.)
Anacréon faisait admirer les grâces qu'offraient des cou- ronnes de roses enlacées à des lis blancs : Spaxar crproéroioir
OTus mpémes Tà RsUXX Bod'oss Xpiva n\aXerTæ.
Si le lis est le symbole de la noblesse, de l'éclat et de la pureté, on peut considérer la rose comme l’emblêéme 4° de la beauté, 2° de la briéveté de la vie, 3° de l’innocence et 4° du martyre.
Sapho nous a laissé de la rose cette peinture gracieuse : « Si Jupiter voulait donner une reine aux fleurs, la rose serait la reine de toutes les fleurs. Elle est l’ornement de la terre, la plus belle des plantes , l'œil des fleurs, l'émail des prairies et une beauté vraiment éclatante » FE To!s @ybéow n0eaer 0 Zeus émiivat Baosn'æ, To pod'oy array avd:ovs ÉGasiAeve. 3hs &TTI XOOUOS | EUTOY ayAaiouz, iQJanuos afoy AE EpUÔ Ma, xannos aoTeamToy >» Nous admirons dans Théocrite ces beaux vers: « La rose est belle, mais sa beauté n'a qu’un jour; la violette embellit le printemps , un instant la flétrit; le lis est d'une blancheur éclatante, il se fane sous la main qui le cueille..….: ainsi est la beauté, bientôt l’altére la main rapide du temps. »
Kad rù pod'or xanor éors, Xai Gypovos durd juapælyss ” 2 2 > NN A
xa) Td don xaNor ÉoTiy év Étape, Ka) tax Ù ynpae
Aeuxbr To xpivor ets, papairiTas aviXx mInTÉe
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KaÏ XANNOS Manor or à masSixor, «AN oNdyar ÊF.
LETTRES. 93
Chénedollé a peint la rose avec des couleurs vives et suaves :
Salut reine des fleurs : salut vermeille rose!
À peine le matin a vu ta fleur éclose,
Que les jeunes zéphirs d'un doux zèle emportés Racontent ta naissance aux bosquets enchantés ;
Et le printemps ravi, que ton éclat décore,
Te remet la couronne et le sceptre de Flore.
Oh! tu mérites bien la douce royauté
Que la main du printemps décerne à ta beauté!
On a comparé la briéveté de la vie humaine à la courte durée de la rose. Un poëte latin à dit :
Ut manè rosa viget, tamen mox vesperè languet Sie modè qui fuimus cras levis umbra sumus.
« Comme la rose fleurit le matin et se fane le soir, ainsi nous qui, tout-à-l'heure jouissions de la vie, nous ne serons plus demain qu’une ombre légère. >» |
Le prophète Isaïe (ch. #0, v. 6) et S. Pierre (1"° ép., c. À, v. 24) ont enseigné la même vérité par une sentence encore plus frappante que celle que nous venons de citer : & Omnis caro ut fænum et omnis gloria ejus tanquam flos fœni ; exarecit fænum et flos ejus decidet (Tous les mortels ne sont que de l'herbe , et leur gloire est comme la fleur des champs ; l'herbe sèche et sa fleur tombe). » Et c'est dans la même épître (ch. 5, v. 4) que le chef des apôtres, sous les emblèmes d'une fleur qui se fane et d’une couronne tressée de fleurs qui ne se flétriront jamais, oppose à la gloire fugitive de cette vie la gloire immortelle du ciel: « Et quüm apparuerit prin- ceps pastorum percipietis imma arcessibilem gloriæ coronam. »
La fête des roses est célébrée dans la Perse, dans l’Inde et dans la délicieuse vallée de Cachemire. C'est dans une telle circonstance que le poëte hindou Amici composa le garal dont voici une imitation :
Le jour où la rose naissante, Reine des fleurs et des matins,
04 LETTRES.
Dans sa splendeur éblouissante Parut au trône des jardins ; Autour de sa tige embaumée Mille rossignols amoureux, Accoururent, troupe enflammée, Moduler des accords joyeux. L'automne vint froide et chagrine: De cette rose il ne resta
Pas même une feuille, une épine, Dans le jardin qu'elle enchanta. Et moi voyant le sort rapide,
Des choses du monde mortel,
Je sentis. ma paupière humide, Sous les coups du chagrin cruel.
Mais souvent encore la rose est considérée comme l'em-— blème de l'innocence et de la virginité, parce qu'un rien la flétrit. Dans des vers charmants, l’Arioste a comparé à la rose une jeune vierge: « La virginella è simile alla rosa. » Et Malherbe a dit de la mort d'une jeune fille :
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses : L'espace d'un matin.
Enfin, dans les hymnes de l'Eglise, les martyrs sont dépeints sous la figure de la rose et les vierges le sont sous l'image des lis :
Liliis sponsus recubat rosis que ;
Tu, tuo semper bene fida sponso
Et rosa martyr simul et dedisti, Lilia virgo.
« L'époux se repose sur les lis et les roses : toi, sa fiancée, confiante en son amour, tu lui offres la rose et le lis, ces em - blêmes de ton martyre et de ta virginité. »
On sait que le quatrième dimanche de carème, le pape
LETTRES. 95
bénit la rose d'or. Un sermon prêché à cette occasion par Innocent III, et les lettres des souverains pontifes montrent que la rose d'or est considérée comme une figure de Notre Sauveur. La couleur rouge dont cette rose est teinte nous rappelle la passion de J.-C. qui nous a rachetés par son sang.
Maintenant revenons à l'application de nos gracieux emblèmes , la rose et le lis, aux personnes sacrées de Notre Seigneur J.-C. et de sa Très-Sainte Mère. D'abord, pour expliquer le v. À du ch. IT° du Cantique qui, dans la Vulgate, porte: « Ego flos compi et lilium convallicem, » il faut rap- procher de ce passage le v. À du ch. XI° d’Isaie: « Et egre- dictur virga de radice Jesse et flos ejus ascendet (Et un rejeton sortira de la tige de Jessé ; une fleur s’élévera de ses racines), » que le paraphraste chaldéen a rendu en ces termes : « Egredictur autem rex de filiis Jesse, et Messias de filiüis filio- rum ejus creseet. » Les SS. Pères Jérôme, Ambroise, Léon, Bernard, Thomas... reconnaissent dans cet endroit, avec les docteurs juifs, une prophétie manifeste du Messie. On a proposé sur ce passage deux explications : l'une entend par le rejeton (virga) la bienheureuse mére de Dieu, par la fleur (flos) son fils Jésus, et par la racine (radix) la nation juive. Voici les paroles de S. Ambroise : « Le rejeton figure la nation juive, la vierge c'est Marie, le Christ est la fleur de Marie qui à fait cesser dans le monde l’odeur infecte des vices honteux et y a répandu les doux parfums d’une vie toute céleste *. >» S. Thomas, après avoir donné cette pre- miére explication , rapporte l’autre en ces termes: « Les juifs affirment que la fleur et le rejeton figurent le Messie. Le rejeton exprime sa force et figure sa puissance contre les méchants ; la fleur est l’'emblême de sa douceur et signifie la plénitude des consolations qu'il apporte aux hommes de
* Radix familia Judearum, virga, Maria, flos Mariæ, Christus est, qui fetorem mundanæ colluvionis abolevit , odorem vite œternæ infudit.
96 LETTRES.
bonne volonté *. » Chacune de ces interprétations est vraie, pieuse, et renferme un sens d'une grande sublimité. Sur ces mots: « Ego sum flos campi, » S. Thomas a dit: « De même qu'au printemps les champs s’embellissent en se cou- vrant de fleurs et de verdure, de même l'univers resplendit d'un éclat nouveau quand J.-C. vint l’éclairer du céleste flambeau de sa doctrine **. >» Selon S. Ambroise et le véné- rable Bède : « Jésus-Christ est dit la fleur des champs, parce que la fleur est la parure de la plaine comme le divin Sauveur est l'ornement du monde. » Si nous suivons la lecon du texte hébreu: ego rosa Séron, nous reconnaîtrons avec le Psalmiste (ps. 44) que, si la rose est la plus belle des fleurs, le fils de Dieu surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes, et que la grâce est sur ses lèvres ; nous pu— blierons, avec l'épouse des cantiques, les clrarmes de son divin époux: « Mon bien-aimé, dit-elle (ch. 5), est blanc et vermeil , choisi entre mille, ses cheveux sont noirs comme l'ébène , ses yeux sont doux comme les colombes qui reposent sur le bord des fleuves , ses lévres de pourpre exhalent la myrrhe la plus suave, il est beau comme le Liban, élevé comme le cèdre, sa voix est pleine de douceur et en lui tout est désirable. >» Nous déclarons avec S. Paul (ép. aux héb., ch. 7, v. 12, 14 et 26) que ce fils de Dieu, cet époux divin de l'Eglise est un pontife saint , innocent , séparé des pécheurs et élevé au-dessus des cieux ; qui, par l'Esprit saint, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, afin de purifier, par son sang, notre conscience des œuvres mortes , pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant : c'est, ainsi, qu'avec son propre sang, ce généreux pontife
* Judæi dicunt quod flos et virga refertur ad Christam et di- citur virga propter potestatem et flagellationem malorum et flos propter honestatem et consolationem bonorum.
** Sicut campus floribus adornatur et vernat, ita et totus mun- dus Christi fide ét notitià decoratur. |
LETTRES. 97
nous a conquis une rédemption éternelle. L'Eglise, avons- nous dit, honore Jésus-Christ, sous l'emblème de la rose de Sâron, elle invoque aussi dans ses hymnes ce divin Sauveur, comme Ja force des martyrs:
Crucifixum adoremus : Christi crucem prœdicemus Salvi per quem vivimus. Super crucem consummatur Infiguris qui mactatur
Orbis ab origine.
Rubet sacro crux liquore, Fervet ara quo calore
Dei sanguis effluit.
O fons omnis crux virtutis! O œterna spes salutis !
« Adorons le crucifié, préchons le mystère de la croix ; par elle le Christ nous a sauvés, par elle nous vivons. Il -& consommé sur la croix le sacrifice annoncé dés l’origine du monde par les figures de la loi. Elle est teinte d’un sang sacré la croix, cet autel sur lequel une ardente charité à versé le sang d’un Dieu. O croix ! O source de toute vertu ! tu es l'espoir d’un éternel salut. »
C'était en effet, au pied de cette croix, l'espérance de notre salut , c'était dans la réception de la divine Eucharistie que , dans les premiers siècles du Christianisme , les saints martyrs puisaient cette foi qui triomphait du monde et cette charité ardente qui était plus forte que la mort, comme nous l'enseigne l'Eglise dans l'office des glorieux martyrs ; « Ils se retiraient de la table de votre autel semblables à des lions qui, exhalant le feu de la charité, devenaient, par
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98 LETTRES.
la vertu divine, terribles au démon *. > La lecon de la Vulgate est conforme à celle de l’hébreu dans la seconde partie du v. 4: « et lilium convallium. > Les saints Pères et les interprètes vont nous apprendre pourquoi le Sauveur se désigne ainsi. D’après S. Thomas : « Je suis le lis des vallées, car j'offre ma grâce particuliérement aux âmes désolées qui s'adressent à moi avec un cœur humble et dévoué **; » et selon Origéne: « Le Christ est le lis des vallées par l'éclat de sa pureté et de sa sagesse; car lui- même est le reflet éblouissant de la lumiére éternelle, la splendeur et la figure de la substance divine ***. » Et S. Jérôme dit: « Le Christ se présentant avec confiance comme l’auteur et le prince de la virginité, dit: je suis la fleur des champs et le lis des vallées ****, » J.-C. le lis divin, habite dans les cœurs chastes et purs, figurés par les vallées ou les humbles, car la fleur ou le germe de l'humilité est la chas- ieté ou la virginité (c. 7, 10). « C’est en toute vérité, dit Ménochius, que le Christ est comparé au lis, car comme le fait observer Honorat d'Autun, on remarque cinq choses dans le lis : le calice est blanc, le pistil et les étamines sont de couleur d’or, il est odoriférant, il déploie ses pétales et courbe toujours sa tête ; c'est ainsi que dans le Christ la blancheur est l'emblème de son humanité, la couleur d'or celle de sa divi-
nité. Le Christ est odoriférant par sa prédication, il étend
* Ab altaris tui mensà tanquam leones (recedebant) caritas, ignem spirantes, et diabolo factos divinà virtute terribiles.
** Sum lilium convallium quia illis mentibus præcipuè gratiam tribuo, quæ nullam Spem in se habentes , mihi se humili devo- tione submittunt.
** Christum esse lilium convallium præ fulgore sapientià et pu- dicitià ipse enim est candor lucis œternæ, splendor et figura subs- tantiæ Dei.
*** Christus quasi auctor virginitatis et princeps loquitur confi- ie ego flos campi et lillium convallium. :
LETTRES. 99
les bras pour accueillir le pénitent, et se penche vers les pé- cheurs pour les traiter avec indulgence et les sauver. » *
V. 2. — Jésus-Christ l'époux y fait l'éloge de l'Eglise son épouse : « Comme le lis au milieu des épines, ma bien-aimée s'élève au-dessus des jeunes filles. » Nous lisons dans Théo- crite (id. 18°) : « Dans toute l'Achaïe, la fille de Jupiter ne voit pas de beauté qui lui soit égale... parmi les quatre fois soixante jeunes filles, parées de la fleur de l’âge et de la beauté , aucune n'est sans défaut comparée à Hélène : »
Zavos roi Buyérnp.
Ofx ’Ayaisad'a yatay rarti, audi AAA, VApaués d’'ai MATE CUVUARIMIS,, 0 0 Terpaxss éfnxorra mopor, OhAus vroncia,
Tär vd av ris auowmuos, amésyx, Eire mapioubñ.
Homère a dépeint en ces deux vers Diane entourée de ses nymphes :
llacdur dünip Nyse xapn Ex Ne éramra, Peter apiyvorn méherat, xahaï d'éré mia. (Odys, ch. 6.)
« Elle élève sa tête majestueuse au-dessus de la troupe entiére ; en vain toutes ces jeunes filles ont la beauté en par- tage, à la premiére vue, on distingue la déesse. >» S. Tho-. mas a interprété ce v. 2 de l'Eglise: « Les épinces qui piquent et déchirent, dit le S. Docteur, nous représentent l’homme pervers, soit qu'il appartienne à l'Eglise, soit qu'il erre hors de son sein. — Semblable au lis qui s'éléve au milieu des épines , l'Eglise s'attend à toutes sortes de per-
* Benè ait Menochius cum lilio confertur Cbristus , quia ut inquit Honorius Augustodunensis, in lilio quinque considerantur , quia est candidum habens colorem aureum prominentem, odoriferum et pandulum et semper incurvum. Sic Christus candidus est in huma- nitate, aureus in deitate, odoriferens in prædicatione... pandulus in suscipiendo pænitente , incurvus in condescendendo peccatoribus et eos Salvando. »
400 LETTRES,
sécutions sans cesser pourtant de produire les fleurs de ses vertus et de répandre la bonne odeur de J.-C. — Telle, ma bien-zimée parmi les autres filles, elle souffre persécution non-seulement de la part de ceux qui ne la reconnaissent point pour mére; mais encore de la part de ceux qu'elle enfanta à J.-C. par son baptême *. » D’aprés Origéne nous pouvons entendre ce v. 2 de chaque âme fidèle : le lis entre les épines est l’âme sainte qui éprouve des tribulations , ou le véritable catholique croissant en vertu au milieu des hommes sensuels. A plus forte raison ce passage « Zillium inter spinas > pourra-t-il être appliqué à la vierge immaculée : c'est ce que nous enseigne l'Eglise dans l'office qu'elle récite , lorsqu'elle célébre les fêtes solennelles de la très-sainte mère de Dieu. On peut en dire autant du ch. 24, v. 18 de l'Ecclésiastique, où la sagesse éternelle se compare à la rose de Jéricho : car cette citation est encore appropriée à la bienheureuse Marie que les fidèles invoquent sous le nom de rose mystique, et en l'honneur de laquelle nous chantons :
Ave Jesse virgulta Rosa veris primula.
« Salut arbrisseau de Jessé , première rose du printemps. » Ces rapprochements prouvent que si le v. 4 du ch. 2 doit s'entendre de Jésus-Christ, dans le sens propre, il peut aussi dans un sens pieux, être attribué à la très-sainte vierge. C'est en vénérant Marie, sous les emblémes du lis et de la rose , que nos poëtes ont composé des vers qui exhalent le
* Spinæ quæ pungunt et lacerant, significant pravos quosque vel intra ecclesiam vel extra ecclesiam, et est sensus: sic übi viven- dum est, et sic parata debes esse contra omnia adversa; sicut lillium inter spinas est, et tamen florere et gratum odorem ex se emittere non cessat. Sic amica mea inter filias, quia non solùm ab his qui extra ecclesiam sunt mala pateris, verum etiam abillis qui generati per baptismum in filiationem Dei venisse dicuntur.
LETTRES. 401
parfum de la plus suave piété. Dans la divine épopée, l’en- fant Jésus s'adressant au Pére, lui dit:
La sainte vierge Marie Beau lis qui vers toi s'élançait ut de Dans $on amour chaste et fleurie, Sur son cœur joyeux me berçait.
Nodier exalte la protection de Marie , dans ces vers char-
man({s :
Tu parais ! à la nef timide
Qui tente un rivage ignoré, L'aspect du phare qui le guide Promet un port moins assuré.
Le palmier, vaste et solitaire, Verse une ombre moins salutaire, Sur les sables de Gelboé.
Moins d'éclat anime la rose,
Et moins suave elle repose
. Près des sources de Siloé.
M. Turquety, le poète éminemment catholique, a composé en l'honneur de Marie , la rose mystique , ces beaux vers :
0 jeune rose épanouie
Près du tabernacle immortel, Vierge pure, tendre Marie,
Douce fleur des jardins du ciel ; 0 toi qui sais parfumer l'âme Mieux que la myrrhe et le ciname.
2 2% 9 +. + + ee + + + + + ee
Au nom de ce Christ qu'on adore, Et que tu berças dans tes bras;
O vierge, toi qu'un regret touche, Laisse descendre de ta bouche
402 LETTRES.
Un langage délicieux !
0 Rose ! entrouvre tes corolles ; Et tes parfums et tes paroles, Nous feront respirer les cieux.
V. 10-14. « Allons, lève-toi, ma bien-aimée, toi qui es si belle à mes yeux et viens ; car voilà que l'hiver est passé ; la saison des pluies a fini, a disparu; les fleurs se montrent sur la terre; le temps du chant des oiseaux est venu, et la voix de la tourterelle se fait entendre dans notre terre. Le figuier enfle ses fruits des sucs les plus doux, et les vignes en fleurs répandent leur parfum. Allons, lève-toi, à ma bien-aimée ; toi qui es si belle à mes yeux et viens. >» Cette description du printemps réunit aux sentiments les plus doux, les expressions les plus gracieuses. Virgile a dit:
Et nunc -omnis ager, nunc parturit arbos Nunc frondent silvæ, nunc formosissimus annus. (Egl. 3°).
& C’est le moment où les champs, les arbres, où tout enfante, où les forêts reverdissent, où l'année est la plus belle. »
Et dans les Géorgiques, ch. 2°, ce poëte nous décrit encore cette belle saison: « Le printemps est propice à tout, aux plantes, aux forêts, au feuillage. Au printemps la terre se gonfle et redemande des semences de vie... alors les profondes clairiéres retentissent des chants des oiseaux. partout le sol fécond enfante, et les campagnes ouvrent à la tiède haleine des zéphirs leur sein amolli. Une douce humidité abonde dans les plantes... la vigne pousse ses bourgeons et déploie toutes ses feuilles. »
Michaud nous a laissé du printemps la peinture suivante :
Déjà les nuits d'hiver, moins tristes et moins sombres, Par degrés de la terre ont éloigné les ombres, Et l'astre des saisons, marchant d'un pas égal,
LELTRES. 403
Rend au jour moins tardif son éclat matinal.
Le beau soleil de mai, levé sur nos climats, Féconde les sillons, rajeunit les bocages,
Et de l'hiver oisif affranchit ces rivages.
La sève, emprisonnée en ses étroits canaux, S'élève, se déploie, et s'alonge en rameaux : La colline a repris sa robe de verdure.
Le serpolet fleurit sur les monts odorants : Le jardin voit blanchir le lis, roi du printemps,
Et l'aimable espérance , à la terre rendue, Sur un trône de fleurs du ciel est descendue.
L'agile papillon, de son aile brillante,
Courtise chaque fleur, caresse chaque plante: De jardin en jardin, de verger en verger, L'abeille en bourdonnant poursuit son vol léger. Zéphir, pour ranimer la fleur qui vient d'éclore, Va dérober au ciel les larmes de l'aurore;
Il vole vers la rose et dépose en son sein,
La fraîcheur de la nuit, les parfums du matin. De l'aube radieuse aimable messagère,
Loin de l'humble sillon l'alouette légère
Va saluer le jour, et dans l'azur des cieux,
Fait éclater la nue en sons mélodieux.
CHAPITRE IIT.
V. 11. « Filles de Jérusalem, sortez et regardez le roi Salomon sous le diadème dont sa mére le couronna au jour de son mariage, au jour de la joie de son cœur. » Nous lisons au IV° livre des Rois, ch. 141, v. 12: « Le grand- prêtre Joïada amena le fils du roi (Joas), et posa sur lui le diadème et le livre de la loi, et ils l'établirent roi, le sa-
104 LETTRES.
crérent, et frappant des mains dirent : Vive le roi! » J. Ra- cine a décrit ce couronnement dans son admirable tragédie d'Athalie. .. Joas à Josabeth : Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ? Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ?
Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son temple, D'un semblable appareil je n'ai point eu d'exemple.
JosaseTu lui essayant le diadéme : Laissez, mon fils, je fais ce qui m'est ordonné. Joan se prosterne aux pieds de Joas:
Je vous rends le respect que je dois à mon roi,
De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne. Et plus loin :
Venez cher rejeton d'une vaillante race,
Remplir vos défenseurs d'une nouvelle audace.
Venez du diadême à leurs yeux vous couvrir...
SALOMITE : | Que fait Joas?
ZACHARIE : Joas vient d'être couronné. Le grand-prêtre a sur lui répandu l'huile sainte. 0 ciel! dans tous les yeux quelle joie était peinte, À l'aspect de ce roi racheté du tombeau.
On peut sur le verset qui nous occupe distinguer quatre couronnements de notre Seigneur J.-C. 1° Il à recu le diadème de son humanité au jour de son incarnation (S. Luc, ch. 50, v. 31-38); 2° la couronne d’épines durant sa passion (S. Jean, ch. 19, v. 2 et 5); 3° la couronne de la royauté et de l'empire au jour de sa résurrection et en celui de son ascension , lorsqu'il s’assit à la droite de son Père sur le trône de gloire comme le vainqueur de la mort et le
LETTRES. 405
maître suprême de toutes les créatures (ps. 8, v. 6; ps: 409, v. 1-3; Epit. aux Héb., ch. 2, v. 7-9; S. Math., ch. 28, v. 18); 4° enfin le divin Sauveur sera ceint de la couronne triomphale au grand jour du jugement, lors- qu'il précipitera ses ennemis dans les ténèbres extérieures et fera régner ses élus dans le ciel où ils célébreront les noces de l'agneau, et l'amour éternel de J.-C. pour l'Eglise triomphante, son épouse bien-aimée (S. Mat., c. 25, v. 31, 54 et k1; Apo., ch. 19, v. 6-9).
S. Thomas en commentant le v. 41, l'applique 1° à l'in- carnation, 2° à la passion du Sauveur: « C’est la voix de l'Eglise, dit le S. Docteur, qui convie les âmes fidéles à voir combien son époux est beau et admirable !..... Dégagez- vous, s’écrie-t-elle, du tourbillon du monde afin que vous puissiez contempler avec un calme parfait celui qui est l’objet de votre amour. Regardez dans la personne de Salomon Jésus-Christ , le vrai pacifique , sous le diadéme dont le cou- ronna sa mére. Considérez-le revêtu pour nous d’un corps formé dans le sein d’une vierge-mére. Elle appelle diadéme cette chair dont le Christ se revêtit pour nous sauver ; en mourant avec elle , il détruisit l'empire de la mort, en ressus- citant avec elle , il nous assure l'espoir d’une future résur- . rection... Au jour de ses noces, c'est - à - dire à l’époque de son incarnation, lorsqu'il s’unit à une église n'ayant ni tache, ni ride... et au jour de la joie de son cœur, car la joie et l’allégresse du Christ sont produites par le salut et la rédemption du genre humain *. »
* Vox ecclesiæ, invitantis animas fidelium in tuendum quàèm mirabilis et speciosus sit sponsus ejus.... exite de turbulentà hujus sæculi conversatione ut mente expedità eum quem dili- gitis, contemplari possitis. Et videte regem Salomonem, hoc est verum pacificum Christum in diademate quo coronavit eum mater sua, ac si diceret : considerate Christum, pro nobis carne indu- tum, quam carnem de carne virginis matris suæ assumpsit. Dia-
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Quant à la seconde explication, le docteur angélique dit : « Salomon prévoyant la passion du sauveur, en avertissait long-temps à l'avance les filles de Sion, c'est-à-dire le peuple d'Israël... Sortez, disait-il, et contemplez le roi Salomon, Jésus-Christ, le front ceint du diadème dont le couronna sa mére la synagogue au jour de son mariage, au jour de son alliance avec l'Eglise, au jour de la joie de son cœur, quand par sa passion il délivrait les hommes de l'esclavage du démon. Sortez donc et affranchissez-vous des ténèbres de l'infidélité, et regardez, c'est-à-dire, comprenez que celui qui a souffert ces cruels tourments est le vrai Dieu ; ou encore, sortez de l'enceinte de vos murs et voyez-le crucifié sur le mont Golgotha*. >»
CHAPITRE IV.
V. 1,3. — Portrait de l'épouse : « Que tu es belle, ma bien aimée ! que tu es belle ! tes yeux sont les yeux de
dema namque vocat carnem, quam Christus assumpsit pro nobis in quà mortuus destruxit mortis imperium : in quà eliam resurgens resurgendi nobis spem contulit.... In die desponsationis ejus, hoc est, in tempore incarnationis ejus, quand sibi conjunxit Ecclesiam non habentem maculam aut rugam.... Etin die lætitiæ cordis ejus. Lætitia enim et gaudium Christi, salus est et redemp- tio generis humani.
* Prævidens Salomon in spiritu passionem Christi, longè antè præmonebat filias Sion, id est plebem Israëliticam...... egredi- mini, inquiens, et videte regem Salomonem, Christum , in dia- demate, id est in Spineà coronà, quà coronavit eum mater sua synagoga in die desponsationis ejus, quando videlicet sibi junxit Ecclesiam. Et in die lætitiæ ejus quo gaudebat per suam passio- nem redimere mundum diaboli potestate : egredimini ergo et exite à tenebris infidelitatis et videte, hoc est, intelligite mente quiaille qui ut homo patitur, verus est Deus. Vel etiam egredimini éxtra portam civitatis vestræ, ut eum in Golgotha monte crucifixum videatis.
LETTRES. 407
la colombe, ils brillent à travers ton voile ; ta chevelure est semblable à la toison des chevreaux qui apparaissent sur le sommet de Galaad. Tes dents sont comme des brebis qui montent du lavoir; toutes jumelles, il n’en est aucune qui n'ait son égales tes lèvres sont comme une bandelette de pourpre et ta parole est douce ; tes joues sont comme la gre- nade et brillent à travers {on voile. » (Voyez le ps. 44, v. 9-15). Millevoye a imité ce passage dans les vers suivants :
Epouse de mon cœur! de ta bouche vermeille, Ma bouche a quelque temps respiré la fraicheur : Que ton haleine est douce, épouse de mon cœur!
Et l'émail de tes dents est plus blanc que la laine De l'agneau qu'a baigné la limpide fontaine.
Et plus loin :
Mon amante, ma sœur, ma colombe chérie! Tes regards et ta voix énivrent ton époux ; Car ta voix est sonore et tes regards sont doux.
« Nous pouvons, dit S. Thomas, entendre par les yeux les docteurs de l'Eglise et les prédicateurs de l'Evangile ; car dans le corps mystique de l'Eglise, dont Jésus-Christ est le chef, ils remplissent les fonctions les plus importantes, en présentant aux fidèles la lumière qui les dirige dans la voie du salut. Les cheveux désigneront les innombrables enfants de l'Eglise dont la masse imposante est pour elle un de ses plus beaux ornements... Les docteurs sont figurés par les dents; car, en mettant la saine doctrine à la portée des âmes les plus simples , ils leur préparent ainsi une nourriture spirituelle... Les lèvres représentent les prédicateurs..…. Ils sont aussi figurés par la bandelette de pourpre; car, souvent ils exposent la passion du Christ qui versa son sang pour
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nous racheter... Les joues indiquent les martyrs, couverts de leur sang; ils ressemblent à une grenade; quand on divise ce fruit, on admire sa blancheur intérieure ; de même aprés la mort d'un martyr, les miracles qui s'opéreront par son intercession , le rendront illustre *. » | V. 4. — « Ton cou est comme la tour de David, couron- née de créneaux, et là sont suspendus mille boucliers ar- mure des forts. » Le terme que la Vulgate a rendu par cum propugnaculis est en hébreu Zethalepiath : il signifie in excelsa loca ou plutôt in thalpioth, Eis Gaar:«ô, comme portent les LXX : ce serait alors un nom de lieu situé sur le Liban. L'époux compare le cou de l’épouse à la tour de David, parce qu'il est droit, rond et orné. David figure le Christ, la tour de l'Eglise; le cou représente les prédicateurs et les boucliers désignent les vérités de la religion : le Sage a dit: « Omnis sermo Dei ignitus est clypeus (Prov. ch. 30 v. 5). » Voici le commentaire de S. Thomas sur ce passage : « Le cou de l’épouse est comparé à la tour de David. David représente le Christ, et la cité de David, celle du grand roi, l'Eglise toute entière du Sauveur ; les tours de cette cité figurent les personnages qui se distinguent par leur
* « Possumus per oculos doctores ecclesiæ et prædicatores accipere, qui in corpore, cujus caput Christus est, summum locum tenent, et cœlestia et spiritualia cæteris membris præ- bent. Per capillos ver innumeram multitudinem fidelium qui etsi minüs vident spiritualia, suà tamen numerositate magnum de- cus præstant Ecclesiæ... Per dentes Ecclesiæ doctores figurantur , quia cibos spirituales quos simplices capere nequeunt, ipsi quodam- modo exponendo comminuunt... Per labia Ecclesiæ prædicatores accipiuntur qui et per dentes figurantur... Vittæ coccineæ assimi- lantur, quia passionem Christi assiduè prædicant, qui pro nostrà redemptione sanguinem suum fudit... Possunt per genas Ecclesiæ martyres figurari qui rubicundi sunt effusione sanguinis sui, velut malum punicum ; sed fracto malo punico , candor interiüs apparet, quia post mortem miraculis coruscant. »
LETTRES. 409
science et leur sainteté; les créneaux sont l'emblème des mystères de l'Écriture sainte qui, comme autant de traits, sont employés à repousser les puissances ennemies ; les mille boucliers s'interprètent des innombrables secours que le Très- Haut accorde à son Eglise pour lui servir de remparts inex- pugnables. Toute l’armure des forts s'explique de l'appareil, soit de la sainte prédication, soit des bonnes œuvres *. » C'est devant cette tour mystérieuse de David, c'est aux pieds de la mére de Dieu qu'est venue expirer la puissance de l’antique serpent ( Gen. ch. 3, v. 15); c'est dans cette tour de David qu'il faut se réfugier, c'est à Marie qu'il faut recourir pour triompher des ennemis de notre sanctification.
Soumet a dit de la Vierge-Mére :
« Phare que sur ses flots l'éternité suspend. »
V.7.— « Tu es toute belle , ma bien-aimée ; aucune ta- che n'est en toi. > C’est la louange que l'époux divin fait de l'Eglise son épouse. S. Paul (Ep. aux Eph., ch. 5, v. 25- 27 ), nous apprend que « Jésus-Christ a aimé l'Eglise jus- qu'à se livrer lui-même pour elle, afin de la sanctifier , en la purifiant dans le baptême de l'eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, et n'ayant ni tache , ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut. » S. Augustin, expliquant cet endroit de l’épitre aux Ephésiens , nous enseigne que durant le siècle présent , l'église n'est pas sans tache, ni sans ride, mais qu'elle se purifie chaque jour en cette vie pour paraitre enfin glorieuse
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< Hoc autem collum turri David comparatur. David Christum significat et tota Ecclesia civitas David, id est, magni regis est Christi..…. Turres autem hujus civitatis illi sant qui scientià vel operis perfectione cæteris præeminent. Propugnacula sunt divinarum scripturarum sacramenta de quibus jacula procedunt, quibus ad- versæ potestates repelluntur..… Mille clypei intelligentur innumera divina præsidia defensionis , quibus sancta Ecclesia vallatur et de- fenditur. Omnis armatura fortium, i. e. omnis instructio vel sanctæ prædicationis vel sanctæ operationis. >
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aux yeux du Christ, son époux dans le siècle futur. Par conséquent ces paroles de l’apôtre doivent plutôt s'entendre de l’église triomphante que de l’église militante (voy. Apoc., ch. 2, v. 2). Selon Estius, on peut appliquer le v. 7 du ch. 4 du Cantique, à l’église militante en ce sens : elle est belle et immaculée , quant à la profession de foi et à la sain- teté de la morale ; elle n’a rien que de vrai dans les décisions de la foi, rien que de bon dans les lois relatives aux mœurs.
« L'Eglise est toute belle en tant qu’elle se garde chaste et pure de tout; si quelque tache légére vient à ternir sa beauté, dans la plénitude de sa foi, elle soupire vers le ciel, et, soudain, elle se voit ornée de sa premiére beauté *. »
On peut encore dire avec le docteur angélique que ce qui est marqué au v. 7 a été accompli en la bienheureuse mére de Dieu.
« La vierge Marie n’a commis aucune faute actuelle , ni mortelle, ni vénielle: ainsi fut accomplie en elle ce qui est dit au hanites IV° du re Mon amie , tu es toute belle; aucune tache n’est en toi **.
Adrien de Léandor a dit :
D er A Marie immaculée,
Marie, ange sauveur, vierge et modeste femme, Mère de Jésus-Christ, éDouse de toute âme Qui se conserve pure. . . . . . . . .. Marie, amour, foi, chasteté :
Miroir de l'évangile où tout est reflété.
* n Tota pulchra est Ecclesia, in quantum se castam et imma- culatam à peccato custodit. Si quandô autem levi peccato fuscatur , cito plenitudine et rectà fide in cœlesti desiderio in eà priscâ pul- chritudine reparatur. ”
* y Beata virgo nullum actuale peccatum commisit, nec mortale, nec veniale : ut sic in eà impleatur, quod dicitur, Cant. c. 4 : tota pulchra es amica mea, et macula non estin te. «
LETTRES. 411
La seule qui de tous soit aimée et bénie, Et dont le nom suave est seul une harmonie.
V. 8. — « Viens du Liban, mon épouse, viens du Liban; viens et tu seras couronnée. » Au lieu de « coronaberis de capite Amana. » le texte original porte: « thaschouri me- rosch Amana, prospice de vertice amana. >» Dans Théo- crite, les compagnes d’Héléne lui disent: « O belle , à aima- ble. fille ! tu es maintenant épouse. Dés le matin, nous irons dans les prairies cueillir des fleurs nouvelles et former des couronnes odorantes. »
VA xaXké & japésrra nopa, rÙ puèv oixéres Km “Apec dèc Spopoy ños MX de Reludrix QUAXX fEpdoduss areqäves Spsletueves àd'dmvéorras.
Nous lisons dans le livre d’Esther ( ch. 2, v. 15 et 17 ): « Esther était très-belle et son visage d'une grâce si par- faite , qu’elle paraissait aimable et ravissante à tous ceux qui la voyaient... Le roi l'aima plus que toutes les autres femmes et il mit sur sa tête son diadéme. » C'est ce passage que J. Racine, dans sa tragédie d’Esther, a rendu par ces beaux vers qu'il met dans la bouche de la reine :
De mes faibles attraits le roi parut frappé. . . avec des yeux où régnait la douceur : Soyez reine, dit-il; et dès ce moment même, De sa main sur mon front posa son diadême.
« L'époux appelle son épouse, purifiée par le baptême, resplendissante de l'éclat de toutes les vertus et répandant autour d'elle les suaves odeurs de ses saints ; il l'appelle afin qu'elle se hâte, c'est-à-dire qu'elle croisse dans toutes les vertus... Tu seras couronnée du sommet de l'Amona et des cimes du Sanir et de l’'Hermon... Ces montagnes figurent les puissances du siècle , savoir: les rois et les princes. l'Eglise
112 LETTRES.
sera couronnée de ces montagnes, quand ces dominateurs de la terre se convertiront à la foi du Christ *. »
V. 9.— « Tu as blessé mon cœur d'un seul de tes regards. » On lit dans le livre de Judith (ch. 10 , v. 17 ) : « Quand Judith fut entrée en sa tente, soudain Holoferne fut séduit par ses regards, « statim captus est in suis oculis. »
V. 12. — « Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé , une source scellée. » S. Jérôme parlant de Marie, a dit :
« Mére et vierge, jardin fermé, fontaine scellée: de cette fontaine provient ce fleuve qui, selon Joël, arrose le torrent des liens ou des épines : ces liens du péché qui nous tiennent captifs ; ces épines qui suffoquent la semence du pére de famille **. »
V. 14. — Il est souvent question de l'aloës dans les li- vres saints, par exemple au livre des Proverbes, c. 7, v. 47 ; au ps. #4, v. 9, etc. Le terme hébreu ahaloth du ps. 4, traduit dans la Vulgate par gutta, doit être rendu par aloës. Le bois d’aloës est le même que le bois d’aigle , le bois de calambac des anciens et l’aggaloche (excæcaria) des mo- dernes. Cette plante de la famille des euphorbiacées, est un petit arbrisseau noueux d’où s'écoule un suc blanchâtre qui peut devenir nuisible aux yeux. Cette plante croit aux iles Moluques , et son bois est surtout célèbre en Orient , à raison de l'odeur exquise qu'il répand lorsqu'on le brûle. Ce bois
* u Vocat sponsus sponsam suam candidatam baptismo et
dealbatam nitore omnium virtutum, fragrantem studio sanctarum orationum; vocat eam ut veniat, id est, ut virtutibus proficiat..…. coronaberis de capite Amana, de vertice Sanir et Hermon..……. Per hos enim montes, sæculi potestates, reges videlicet et principes intelliguntur.. De his ergo montibus coronatur Ecclesia, quandd principes sæculi ad fidem Christi convertuntur. > (Voy. Isaïe, c. 60).
* n Mater et virgo.. hortus conclusus, fons signatus : de quo fonte ille fluvius manat juxtà Joël qui irrigat torrentem vel funium vel spinarum : funium peccatorum quibus alligabamur ; spinarum, quæ suffocant sementem patris familias. »
LETTRES. 413
résineux, pesant, a une saveur trés-amére et une odeur aro- matique.: il est si recherché dans l'Inde, à la Chine et au Japon, qu'on le vend au poids de l'or, soit pour servir au culte des dieux , soit pour le brûler aux funérailles des riches, soit pour parfumer les temples et les palais des princes. Nous lisons dans l’histoire des maures que la grande mosquée de Cordoue était éclairée durant la nuit par 4700 lampes et qu'on employait annuellement 420 livres de bois d'aloës et d'ambre gris pour la parfumer. « Ce bois, dit Mirbel, sur- tout dans les parties qui avoisinent les racines et les nœuds, est remph d'une matière grasse très-combustible qui, lors- qu'on la brûle, répand une odeur balsamique voisine de celle du benjoin. Cette odeur devient plus forte lorsqu'on jette le bois rapé sur des charbons. Pour modérer la force de cette odeur, on a coutume d’y ajouter d’autres aromates. »
CHAPITRE V.
On trouve du v. 10° au 16° l'éloge de l'époux. 10. € Mon bien-aimé, dit l'épouse, est blanc et vermeil, choisi entre milles 41. Sa tête brille comme l'or d'Ophir; ses eheveux sont comme les rameaux du palmier et noirs comme l'ébéne ; 12. Ses yeux sont doux comme les colombes qui reposent sur le bord des fleuves , blanches comme le lait... 43. Ses joues sont comme un vase d’aromates artistement mélangés ; ses lèvres de pourpre exhalent la myrrhe la plus suave; 14. Ses bras sont comme des cylindres d'or entourés de bérils ;.... ses jambes imitent les colonnes de marbre qui s'appuient sur des bases d'or; il est beau comme le Liban, élevé comme le cèdre ; sa voix est pleine de douceur, tout en lui est désirable. » On lit au v. 40 dans le texte original ; .« dagout meriba , vexillatus præ decem milli- bus. » On trouve la racine dégel, vexillum, au livre des Nom- bres , ch. 2, v. 3, 17 ; l'hébreu porte au v. 14: « iadav
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gelilé zahab memullain batharschisch (manus ejus circuki auri, pleni in berillis), ce que les LXX ont bien traduit par 2cfpt0 aûToU TopeuTal, xpuaai, mimanpauèras Üapois. Nous croyons qu'ici #harsis désigne le héril ou l'aigue-marine, pierre précieuse d'un bleu verdâtre, et non pas la ville de Tharse.
Millevoye a dit du bien-aimé :
Son sourire est céleste ét son souffle embaumé. Et plus loin la Sulamite s'écrie :
0 plaisir ineffable ! Ô pur ravissement! Que la voix de l'époux retentit doucement! Que sa parole aimable a d'empire et de charmes!
La Genèse rapporte, ch. 39, v. 6, que Joseph était beau et d'un aspect agréable. Florian nous a Lo en ces vers le jeune Tobie :
Comme un autre Joseph nourri dans l'esclavage Et semblable à Joseph de mœurs et de visage, Possédant sa beauté, sa grâce et sa pudeur.
On lit dans Théocrite, id. 20°: Tlomuérss éimaré paos Td Xpnyvor où Rad eut;
Xairas J'oix ie æsp} xporéqoioi XÉXUVTO,
Ka) Neumbr 7 péromor x 'égpéaihquæs psAaives,
"Oppara pos yAauxas xaporwrepa moXNdr *ABaras
Kai sropa d'évraxras yAvxrporépor, êx oropérar d'é
P'Efpeipos qœrx yAuXsparipa À JEAI np
& Pasteurs dites-moi la vérité. La fleur de la beauté ne
brillait-elle pas sur mon visage ?.... mes cheveux flottaient autour de ma tête, comme un essaim d'abeilles voltige autour de la ruche; de noirs sourcils rehaussaient la blancheur de mon front; mes yeux étaient plus bleus que les yeux de Pallas; ma bouche ne le cédait pas en fraicheur au lait pres- suré, et ma voix avait la douceur d’un miel exquis. » On
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lt dans Virgile: < Je suis Daphnis connn dans les forêts et jusqu'aux astres, berger d'un beau troupeau, moins beau que le berger. >
Daphnis ego in sis, hine usque ad sidera notus, Formosi pecoris custos, formosior ipse. (Egl. 3°.)
La blancheur de l'époux est l'emblême de sa pureté, d'où il est appelé l'éclat de la lumiére éternelle (sag. .) Ch. 7, v. 26); il est dit vermeil à cause de sa passion sanglante : Isaie a dit (ch. 63, v. 1): « quel est celui qui vient de Bosra ? pourquoi sa robe est-elle teinte de rouge? » La tête du Christ c'est Dieu (1"° cor., ch. 11, v. 3); ses joues désignent les Saintes-Ecritures qui font connaître l'Homme- Dieu , de même que l'aspect du visage caractérise une per- sonne {S, Jean, ch. 5, v. 39; S. Luc, ch. 24, v. 44 ; Ep. aux Rom., ch. 40, v. 4). Les mains ornées de bagues d’or, dénotent les œuvres du Sauveur qui sont très-parfaites ; ses jambes assimilées à des colonnes de marbre sur des bases d'or sont les symboles de sa force et de son équité (4° cor... ch. 40, v. 4, ps. 118, v. 172). Le cédre est un arbre très élevé dont le bois est incorruptible. La beauté du bien—aimé est comparée à celle du Liban, et il est élevé comme le cèdre, parce que le saint de Dieu, sans éprouver la corruption du tombeau, devait ressusciter pour s'asseoir à la droite de son pére au plus haut des cieux (ps. 15, v. 40, ép. aux héb, , ch. 4, v. 3).
Passons au pieux commentaire du docteur angélique :
€ C'est la voix de l'Eglise qui répond : mon bien-aimé est blanc par sa virginité, vermeil par sa passion. Il est blanc parce qu'il est né sans péché et qu'il a vécu sans péché... il est vermeil parce qu'il nous a lavés de nos péchés dans son sang. L’époux est choisi entre mille; la splendeur du Christ ressort avec un vif éclat sur la masse du genre humain, car c'est par lui que Dieu s’est proposé de sauver le monde,
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et c'est lui-même qui est encore le médiateur entre Dieu et les hommes. La tête de l'époux c'est Dieu, comparé à l'or le plus pur; parce que si Por est le plus précieux des métaux, Dieu aussi dans sa toute puissance est supérieur à tous les biens qui sont son ouvrage. Les cheveux de l'époux sont les multitudes des fidéles attachés à Dieu par la foi et par l'amour, multitudes comparées aux rameaux du palmier , parce qu’elles revêtent la verdure de la foi et s'élévent par l'espérance jusqu'aux récompenses éternelles ; il est. encore dit de ses cheveux qu'ils sont noirs comme l’ébène, parce que tous les fidèles ont conscience de leur faiblesse et savent qu'ils n'ont rien de bon qui leur vienne d'eux-mêmes. Les ra- meaux du palmier, ce sont les saints qui luttent avec le secours de la grâce, pour remporter la palme de la victoire céleste ; ils sont noirs comme l'ébène, parce qu'ils savent que par eux-mêmes ils sont faibles et pécheurs... Les yeux de l'époux sont les dons du Saint-Esprit... aussi sont-ils heureusement comparés à des colombes qui reposent sur le bord des eaux, parce que le Saint-Esprit se complaît dans les âmes pures et sincéres..…. Le lait désigne la grâce de Dieu que le Saint-Esprit départit à l'Eglise... Par les yeux de l'époux, nous pouvons encore entendre les docteurs, com- parés à des colombes pour l'innocence et la simplicité, et aussi païce que les saints docteurs se tiennent près les eaux courantes des divines écritures... Les joues de l'époux repré- sentent la modestie et la piété du Christ, ou bien encore l'air de son visage... Par les lèvres de l'époux, on entend les paroles de